Exercer son regard critique face aux théories du complot
Nos élèves sont abreuvés d'images et très souvent il est difficile pour eux de faire la part du vrai et du faux. Comment, face à ce flot d'images, décrypter ce qui relève des "théories du complot" ? Développer un esprit critique tout en comprenant les mécanismes de fabrication des films complotistes, c'est ce que le réalisateur Stéphane Collin a proposé ce jeudi 14 décembre 2017 aux élèves de 1ière 4.
Après une introduction consacrée aux regards que les élèves portaient sur la théorie du complot et sur ce qu'ils en connaissaient, Stéphane Collin a , dans un premier temps proposé aux élèves de visionner et d'analyser deux documenteurs. Il s'agit de films qui, à l'aide d'images d'archives revisitées, de trucages et de montages , réinventent des faits historiques pour donner l'illusion de réalité.
Les deux films emblématiques soumis à l'analyse étaient des extraits de Documents interdits de Jean-Teddy Filippe (1991, 92 min) et Opération Lune (2002, 52 min) de William Karel
Décortiquer les mécanismes cinématographiques pour aiguiser son sens critique
Constitué de douze épisodes, le film Documents interdits propose des faux films d'archives censément retrouvés dans des archives des services secrets allemands, russes, américains... L’on apprend ensuite que c’est le réalisateur qui a scénarisé et filmé entièrement ces prétendues archives. À partir de ce film se dégage ainsi un questionnement sur la réception et l’analyse des images données à voir au spectateur
Opération Lune est un canular qui tend à prouver que les américains ne sont jamais allés sur la lune. En utilisant des images d’archives, réelles ou truquées, le réalisateur affirme également que c'est Stanley Kubrick qui aurait réalisé les images pour la diffusion télévisée... Bien entendu, le dénouement confirme l’inexactitude du propos et permet de saisir comment le traitement de l’image construit un discours, vrai ou faux.
Les élèves ont ensuite analysé des films de found footage afin de distinguer le "vrai faux" et le "faux vrai". Ce fut l'occasion d'évoquer le Projet Blair Witch (Eduardo Sánchez, Daniel Myrick, 1999, 81 min) , Paranormal Activity (Oren Peli, 2009, 86 min) ou bien encore Cloverfield (Matt Reeves, 2008, 81 min.)
Le found footage pour les nuls : analyse et évolution
On ne va pas se mentir, le found footage est le genre idéal pour réaliser un film d'horreur à bas coût : le fait que toutes les séquences soient filmées par les protagonistes de l'histoire, p...
https://www.doc-cine.fr/de-la-camera-a-lepaule-au-found-footage-la-fin-de-lauteur-realisateur/
La réflexion s'est poursuivie par l'analyse d'extraits de long métrage car les théories du complot ont nourri de manière très profonde l’imaginaire fictionnel du cinéma. Les élèves ont pu, entre autres, découvrir un extrait de The Truman Show (Peter Weir, 1998) où le héros , prisonnier dans un monde artificiel est victime d'un immense complot pour le plus grand plaisir des téléspectateurs !Dans The host (Bong Joon-ho, 2006), les élèves découvrent les circonstances dans lesquelles le monstre qui s'apprêtent à anéantir Séoul a été créé.
Mais la question du complot est très prégnante dans les séries télévisées. la série X-Files (Chris Carter, 1993) a ainsi intégré et utilisé le complot comme ressort scénaristique central. L’intrigue s’articule alors autour d’un « sous-monde » qui exercerait une action secrète et néfaste sur le monde «réél», et que nous serions en réalité gouvernés par d’autres gens que ceux que l’on nous présente.
L'après midi s'est terminée par une mise en situation, Par groupe de 3, les élèves ont du inventé un complot dans leur lycée ou leur ville (à partir d'un élément existant, réel, tangible) et lister les preuves audiovisuelles à fabriquer pour en faire un hypothétique film.
Cet atelier de 4h a été rendu possible grâce au soutien de l'Acrira (association des cinémas de recherche de la région alpine) et a été proposé dans le cadre du dispositif "lycéens et apprentis au cinéma". Il a été mené au sein des séances d'Education Morale et Civique consacrées aux enjeux moraux et civiques de la société de l'information. Il est le prolongement d'un travail mené depuis le début de l'année sur la théorie du complot et l'éducation aux médias.
Le point de vue des élèves
Lucas et Oscar : Dans le film Documents interdits, on a été manipulé par des coupures de son, une voix qui parle en disant n'importe quoi sans que l'on s'en rende compte. La voix nous disait qu'il manquait des personnes sur le bateau alors qu'en réalité on ne pouvait pas le savoir. Il y avait un effet avec un drap noir en nous faisant changer de caméra. En plus le caméraman faisait exprès de mal filmer. "
On a trouvé que l'intervention était d'une grande qualité. Nous avons appris énormément de choses sur la théorie du complot. (...). Ce qui nous a plu , c'était de créer notre propre théorie du complot avec nos idées ; on devait développer des arguments. Le fait de présenter notre complot devant la classe nous a plu.
Soufiane, Bilal et Hugo : A travers les Documents Interdits, Stéphane Collin nous a montré comment le réalisateur avait réussi a nous faire croire que ces documents étaient des vrais. (voix off, qualité de l'image, caméra amateur qui nous fait croire que le film est plus réaliste) ; dans Opération lune, les éléments qui nous trompent sur la réalité sont les montages vidéos qui consistent à reprendre des extraits d'interviews d'hommes politiques américains combinés avec des comédiens comme la secrétaire du président ou bien le soi-disant conseiller du président Eagleburger.
Louis, Léo et Mathis : On a vu comment mettre en scène et transformer le mensonge en vérité (vidéos volées, archives...) (...). En déduction, il est très facile de créer une vidéo anonymement, d'y ajouter une bande son assez oppressante et bruitages forts et inattendus.
Julien, Bayram, Benjamin : Stéphane Collin nous a fait voir plusieurs films dans lesquels il y avait une théorie du complot. Le premier est un documentaire extrait de Documents interdits diffusé sur Arte en 1991 et qui a pour but de faire réagir le téléspectateur. la chaine Arte veut informer et montrer que l'on peut mettre en scène des choses qui semblent vraies mais qui sont fausses. Il y a un jeu avec le téléspectateur, avec l'image (souvent mal filmée), la voix off (ton grave et sérieux qui nous attire), le son des grésillements qui nous fait croire que ce document est une archive et ne peut pas être faux. (...). L'extrait du plongeur a été construit de toute pièce. Six semaines après sa diffusion Arte a dit que c'était un canular. (...). Cette séance nous a appris à nous méfier des vidéos complotistes et nous incite à nous faire notre propre avis sur les théories du complot (ne pas penser comme nous le monde) ; cette expérience nous a plu car elle nous a ouvert sur ce que l'on peut mettre en scène au cinéma ou à la télévision. On a appris qu'il était facile de créer une théorie du complot.
Noah : Il y avait aussi le Truman Show qui mettait en scène un personnage vivant dans un décor sans être au courant ; seules les autres personnes connaissaient la vérité et ils jouaient tous un rôle. Tout était filmé , ce qui donnait une impression de téléréalité. On pouvait donc bien voir le complot contre Truman qui lui seul ignorait la vérité.
Le documentaire Opération Lune montre différents discours officiels de membres importants du gouvernement. Il y a également deux comédiens. Tout au long du documentaire, le réalisateur f ait en sorte que nous comprenons que les personnages parlent de l'opération lune alors que si l'on s'intéresse de plus près au documentaire on s'aperçoit que rien n'a été dit clairement sur le sujet du film. On le sous-entend seulement et on comprend que c'est un faux document avec par exemple la secrétaire du président Nixon qui était une actrice et qui porte le nom d'un personnage du film La mort aux trousses de Hitchcock. (...).
On a bien aimé cette intervention car c'est un sujet qui nous intéresse et nous intrigue. Le réalisateur a abordé ce thème à travers le cinéma, ce qui était encore plus intéressant. On s'est prêté au jeu au maximum et le réalisateur nous a bien guidé tout au long de son intervention. On a beaucoup apprécié le fait de créer un complot à partir de ce que l'on avait appris et cette intervention nous a fait découvrir de nombreux films.
Article mis à jour le 11 janvier 2018
Retrouvez l'article ci-dessus dans le bulletin n°454 de l'ACRIRA (10 au 23 janvier 2018)