Le président Emmanuel Macron et son gouvernement face aux mémoires de la guerre d’Algérie
Document 1. Emmanuel Macron reconnaît un « système » recourant à la « torture ».
Le 13 septembre 2018, à 14 h 30, Emmanuel Macron a rencontré Josette Audin dans son appartement de Bagnolet. Il lui a remis une déclaration officielle dans lequel il reconnaît que son mari Maurice Audin a été torturé en Algérie et que sa mort a probablement été camouflée par les militaires français. Le jeune militant communiste, favorable à l’indépendance de l’Algérie, avait disparu mystérieusement le 21 juin 1957.
« (…) Sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé « arrestation-détention » à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout « suspect » dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire.
Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957.
Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière (…).
La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore les cicatrices, parfois mal refermées.
Aussi le travail de mémoire ne s’achève-t-il pas avec cette déclaration. Cette reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires. »
Extrait de la déclaration du président de la République à propos de l’affaire Maurice Audin
Document 2. Des aides financières en faveur des harkis annoncées par le gouvernement
Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d’Etat auprès de la ministre des armées, présente mardi 25 septembre de nouvelles mesures en faveur des harkis à l’occasion de la journée nationale leur rendant hommage. « Nous souhaitons dire : aux harkis, la France reconnaissante », résume-t-elle. « Oui, il y a eu défaillance de la France. Ils ont été reçus ici dans des conditions souvent très difficiles, qu’ils ont parfois eu à subir toute leur vie. »
Parmi les annonces figure le déblocage d’une enveloppe de 40 millions d’euros sur quatre ans, essentiellement destinée à venir en aide aux enfants des combattants harkis de deuxième génération qui vivent en grande précarité.
Ce dispositif, qui sera accompagné d’une aide personnalisée au retour à l’emploi, « concerne potentiellement quelques milliers de personnes, sur 80 000 à 100 000 individus qui dans leur grande majorité se sont très bien intégrés », explique-t-on au ministère.
Le gouvernement va également faire un geste en direction des harkis de première génération en augmentant de 400 euros leur allocation de reconnaissance et l’allocation viagère versée à leurs veuves. La mesure concerne 9 000 à 10 000 personnes.
Inspirées du rapport d’un groupe de travail remis à la fin de juin, les décisions qui seront dévoilées au cours d’une cérémonie aux Invalides ambitionnent d’offrir « de nouvelles avancées en matière de reconnaissance, de réparation et de solidarité envers les harkis » (…).
Le gouvernement compte par ailleurs lancer plusieurs initiatives mémorielles portant sur la reconnaissance du sort de cette communauté. Emmanuel Macron prévoit lui-même « un geste mémoriel très fort » à l’égard des harkis en décembre.
Le chef de l’Etat français a également promu vendredi d’anciens combattants harkis et des représentants d’associations dans l’ordre de la Légion d’honneur (1). Cette promotion de harkis n’est pas inédite, mais importante en nombre et pour la première fois des enfants de harkis — 16 sur 37 — ont été distingués au titre de leurs travaux et de leur parcours personnel.
Le Monde, 25 septembre 2018
1. Par décret du 20 septembre paru au Journal officiel , six anciens combattants harkis et la cofondatrice d’une association de harkis deviennent chevaliers de la Légion d’honneur. Quatre personnes sont élevées au grade d’officier de l’ordre national du Mérite et quinze autres au grade de chevalier du même ordre, majoritairement représentantes d’associations ou fédération.
1. Quelle attitude le chef de l'Etat et le gouvernement adoptent à l'égard de la guerre d'Algérie ? Dans quel contexte mémoriel peut-on replacer cette attitude ? (Documents 1 et 2)
Le chef de l’Etat et son gouvernement adopte une posture de recueillement et de souvenir ; Ils assument au nom de l’Etat et au nom de la France les pages sombres de la guerre d’Algérie ; Cette attitude est à replacer dans un processus de reconnaissance mémorielle comme nous le prouve ces différentes déclarations :, déclaration du président sur la mort de Maurice Audin ou de la secrétaire d’Etat, Geneviève Darrieussecq, sur les harkis « Nous souhaitons dire : aux harkis, la France reconnaissante » ;
Cette reconnaissance ne se limite pas aux déclarations , cela passe aussi par la participation à des commémorations officielles (25 septembre 2018, cérémonie à venir aux Invalides…) des distinctions (légion d’honneur) et des réparations financières.
2. A l'aide de vos connaissances indiquez et expliquez à partir de quand on assiste à un changement d'attitude de la part des autorités françaises dans le traitement de ce passé douloureux ?
Ce changement de position est à mettre en relation avec la loi du 18 octobre 1999 qui rompt avec l’oubli officiel organisé dès 1962 ; elle consacre l’expression « guerre d’Algérie » à la place « d’opérations effectués en Afrique du Nord »
3. A l'aide de vos connaissances, dites quelle attitude la France avait adopté au lendemain du conflit.
Au lendemain du conflit, la France cherche à minimiser le conflit et à tourner la page. Dès 1962, des lois d’amnisties sont adoptées (voir cours) s’appliquant aussi bien aux Français qu’aux Algériens ; il s’agit d’organiser l’oubli officiel des infractions qui ont pu être commises par les uns et par les autres ; il s'agissait alors d'oublier les divisions et les dérives de la République (voir organigramme) et permettre à la France de clore une longue période de conflit tout en permettant à la France de poursuivre sa reconstruction et sa modernisation.
4. Définissez qui sont les harkis et pourquoi « il y a eu défaillance de la France ». (Document 2)
Troupes supplétives algériennes de l’armée française. Après le cessez-le-feu, les représailles qu’ils subissent font entre 30 000 et 100 000 victimes (75 000 victimes selon certains historiens). La France les abandonne à une mort certaines, ; les quelques 60 000 harkis qui sont évacués sont accueillis dans des conditions déplorables
5. Selon l’historien Patrick Garcia, la décision d’Emmanuel Macron est « au plus près des travaux des historiens » (Document 1). Dites quelles sont les différences entre histoire et mémoire. Expliquez pourquoi l'histoire permet de dépasser les divisions.
Histoire : volonté de comprendre et connaître un phénomène ou un événement passé ; cela implique une démarche scientifique et intellectuelle reposant sur l’analyse et le discours critique.
Mémoire : individuelle ou collective, la mémoire est subjective puisqu’elle est de l’ordre de l’affectif et de l’émotionnel. Elle repose sur le souvenir vécu et transmis. Elle présuppose la sélection et l’oubli.
D'ailleurs, dans sa déclaration, le président souhaite que le travail des historiens sur cette question se poursuivent afin de dépasser les divisions (guerre des mémoires) : Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.
Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique.
L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien.
6. Citez et présentez deux historiens étudiés en classe
Pierre Vidal-Naquet (1930-2006) : historien et intellectuel français ; ces travaux portent sur la Grève antique mais aussi sur la guerre d’Algérie. c’est aussi un militant qui s’est engagé en particulier pour dénoncer l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie
Benjamin Stora (1950) : historien français issu de la communauté juive de Constantine. Ses recherches portent sur l'histoire du Maghreb contemporain, l'Algérie coloniale, les guerres de décolonisation et l'immigration en France.
Ce sont tous les deux des chercheurs qui ont été impliqués dans la guerre d’Algérie, ce qui influe de fait sur leur réflexion.
A partir des années 70, le travail historique sur la guerre d’Algérie commence à faire surface. Ils tentent de d’établir la vérité sur des faits qui s’étaient déroulés durant cette période. Ainsi Pierre Vidal-Naquet tente de mette en évidence l’usage de la torture.
Néanmoins les historiens comme Pierre Vidal-Naquet sont confrontés à de nombreuses difficultés.
Ainsi Pierre Vidal-Naquet a du se contenter d’un accès restreint aux archives (les archives écrites sont accessibles aux historiens selon des délais variables [30 à 120 ans]). Au-delà, l’Etat peut choisir d’en restreindre l’accès. Les historiens peuvent néanmoins obtenir des dérogations. Les archives écrites s’ouvrent progressivement à partir du début des années 90. Les archives audiovisuelles sont plus facilement accessibles.
Il a du faire face à un climat hostile (période d’amnésie organisée par le pouvoir politique marqué par le refus de parler de la guerre et de ces excès et période de guerre des mémoires ). On constate d’ailleurs que son ouvrage est d’abord publié à l’étranger où l’état de l’opinion publique est beaucoup plus apaisé.
L’ouvrage de Benjamin Stora date de 1991, dans une période marquée par la reconnaissance du conflit et la multiplication des commémorations. La connaissance factuelle du conflit s’est étoffée. Ainsi la mémoire de la guerre d’Algérie est aussi objet d’étude. Benjamin Stora analyse ainsi les déformations de la mémoire par rapport à la réalité des faits ainsi que la diversité des mémoires.