Louis XVI boit à la santé de la nation
En analysant le document, vous aborderez la complexité et l’ambiguïté des relations entre le Roi et la Nation à partir de 1789.
L’analyse du document constitue le cœur de votre travail, mais nécessite pour être menée la mobilisation de vos connaissances.
Document : Caricature de Louis XVI réalisée en Juin 1792 et destinée au peuple parisien
Source : Auteur anonyme, « Nouveau Pacte de Louis XVI avec son Peuple le 20 juin 1792, l’an quatrième de la Liberté », gravure et mezzo-tinto avec aquarelle, v. 1792, Paris, Musée Carnavalet
Note explicative 1 :
Le 20 juin 1792, une manifestation populaire est organisée à Paris à l'initiative des Girondins le jour anniversaire du serment du Jeu de paume. Lors de cette journée, le peuple parisien envahit le palais des Tuileries : le roi accepte de coiffer le bonnet phrygien et boit à la santé de la Nation.
Note explicative 2 :
Sous le dessin est inscrit :
Louis XVI avait mis le bonnet rouge, il avait crié Vive la Nation, il avait bu à la santé des sans-culottes, il avait affecté le plus grand calme, il avait dit hautement qu’il ne craindrait jamais, que jamais il n’aurait à craindre au milieu du peuple ; enfin, il avait semblé prendre une part personnelle à l’insurrection du 20 Juin. Eh bien ! Ce même Louis XVI a bravement attendu que ses concitoyens fussent rentrés dans leurs foyers pour leur faire une guerre occulte et exercer sa vengeance.
Analyser le sujet au brouillon
Le sujet nous invite à montrer quelle relation le roi entretient avec la Nation : par Nation on peut entendre les représentants de la Nation (à savoir les députés du tiers état, de la noblesse et du clergé proclamés assemblée nationale le 17 juin 1789 puis les députés de l’assemblée législative et de la convention) ; on peut aussi y ajouter le peuple lui-même (essentiellement le peuple parisien à travers le mouvement sans-culotte).
Le sujet nous donne des pistes : il s’agit de montrer que le roi entretient une relation complexe (c’est-à-dire compliquée) et ambigüe (qui n’est pas franche, pas claire) avec la Nation : le roi semble à la fois accepter et refuser la Révolution ; il semble aussi parfois mener une double politique. Enfin la relation entre le roi la Nation est faite d’amour, de rejet et de violence.
Quant au bornage chronologique, il nous est demandé de traiter le sujet à partir de 1789 sans date de fin ; on peut donc préciser que notre analyse portera du début de la Révolution à la mort du roi le 21 janvier 1793.
Après avoir lu le sujet, pris connaissance du document et relu le sujet, procédez à l’analyse du document et essayez de dégager les grands axes de votre analyse (en ayant toujours à l’esprit la problématique suggérée par le sujet) – vous avez une heure pour faire un travail rédigé et structuré.
Pistes de correction
Ce document est une caricature réalisée en juin 1792 par un auteur inconnu. La jeune monarchie constitutionnelle, proclamée en septembre 1791, vient d’entrer en guerre contre l’Autriche. La scène représentée est survenue à l’issue de l’intrusion du peuple parisien dans le palais des Tuileries le 20 juin 1792 (celui-ci avait organisé une manifestation commémorant le serment du Jeu de paume). S’adressant au peuple parisien, l’auteur dénonce à travers ce document le double discours du roi.
Nous montrerons donc au cours de cette analyse les relations complexes et ambigües que le Roi entretient avec la Nation de puis 1789.
Le temps d’un consensus contraint
Dans un premier temps, le roi accepte, du moins de manière contrainte, les évènements qui surviennent en France à partir de 1789 et qui ont entrainé la fin de l’Ancien Régime politique et social ;
Il semble accepter le principe de souveraineté nationale et le partage du pouvoir avec la Nation. En effet, la caricature nous présente Louis XVI en train de boire à la santé de la nation et célébrer avec les sans-culottes la date anniversaire du serment du jeu de paume survenu le 20 juin 1789. Cet évènement a marqué la fin de l’Ancien Régime politique et la fin de la monarchie absolue. En effet, en se proclamant assemblée nationale 17 juin 1789 et en jurant de ne pas se séparer avant d’avoir rédigé une constitution pour la France le 20 juin 1789, les députés du tiers état, rejoints par quelques députés de la noblesse et du clergé s’octroyaient l’origine du pouvoir, mettant fin à la monarchie absolue de droit divin.
Le roi semble également marquer son adhésion à la Nation en arborant le bonnet phrygien, symbole des esclaves affranchis dans l’Antiquité, le roi reconnaissant ainsi, en plus du principe de souveraineté nationale, les principes de liberté et d’égalité entre citoyens. D’ailleurs, le roi vit à Paris, au milieu du peuple parisien, le document faisant référence au Palais des Tuileries où il réside depuis octobre 1789. Ce lien avec la nation est aussi souligné par la cocarde tricolore qu’il arbore sur le bonnet phrygien, union des couleurs du roi (blanc) et de la commune de Paris (bleu et rouge).
Ainsi, d’une certaine manière, le roi réitère ici le serment de fidélité qu’il a fait à la Nation le 14 juillet 1790 lors de La Fête de la Fédération sur le Champ-de-Mars à Paris. Le titre du document célèbre d’ailleurs l’union du roi et de la nation, en parlant d’un « Nouveau Pacte de Louis XVI avec son Peuple le 20 juin 1792, l’an quatrième de la Liberté »,
Vers la rupture
Pour autant, l’auteur du document dénonce le double-jeu du roi et il semble plus que nécessaire de célébrer un « nouveau pacte » avec la Nation car, par le passé, le roi semble l’avoir rompu. En effet le 21 juin 1791, il est arrêté à Varennes alors qu’il tente de rejoindre clandestinement à la frontière luxembourgeoise un régiment de soldats acquis à sa cause dans l’espoir de restaurer la monarchie absolue. A plusieurs reprises également, le roi a usé de son droit de véto, que la nouvelle constitution adoptée en septembre 1791 lui concède, pour paralyser des décisions prises par l’assemblée législative. Le roi apparaît donc comme un traitre à la Nation qui n’a jamais vraiment accepter la fin de l’Ancien Régime et qui complote pour son rétablissement.
D’ailleurs, Le regard du roi semble perdu, traduisant son manque de conviction dans l’évènement qu’il célèbre. L’auteur du document n’est donc pas dupe et dénonce cette ambiguïté : Louis XVI a bravement attendu que ses concitoyens fussent rentrés dans leurs foyers pour leur faire une guerre occulte et exercer sa vengeance. On retrouve ici l’argumentaire qui sera développé par les détracteurs du roi après son arrestation. Les mêmes sans-culottes reviendront aux Tuileries le 10 août 1792 et s’empareront du Palais dans la violence, entraînant l’arrestation du roi puis la proclamation de la République le 22 septembre 1792.
On peut donc conclure que l’attitude ambigüe du roi lui a été fatale ; au lieu d’apparaître comme le garant de l’unité nationale, il a accentué les divisions entre Français, n’acceptant jamais réellement la fin de ses prérogatives. Finalement, le roi sera jugé par les députés de la Convention, nouvelle assemblée élue durant l’été 1792, condamné à mort et guillotiné devant le peuple parisien le 21 janvier 1793.
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