Affirmer sa puissance à partir des mers et des océans : la dissuasion nucléaire et les forces de projection maritimes
Pourquoi les mers et les océans sont-ils des lieux où s'exprime la puissance ?
Exercice introductif – les enjeux de la question
1. A l’aide de vos connaissances et du document 1, dites pourquoi le contrôle des mers et des océans constituent un enjeu de puissance majeure.
2. Définissez ce qu’est la dissuasion nucléaire et mettez en évidence la mutation majeure de la géographie de la dissuasion nucléaire survenue depuis la fin de la guerre froide (manuel p. 39 et document 2 ci-dessous).
3. Après avoir rappelé comment il est possible de déclencher le feu nucléaire, dites en quoi les mers et océans jouent un rôle central dans la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire (manuel p. 39 et documents 2 et 3 ci-dessous).
4. Définissez ce que sont les forces de projections maritimes et dites en quoi les mers et océans jouent un rôle central dans leur efficacité (carte p. 39)
5. Faites un rapide état des lieux des rapports de force aujourd’hui (document 4)
Document 1. Un seul océan mondial que les puissances cherchent à contrôler
Les océans ont beau constituer 70 % de la surface terrestre, leur rôle est souvent sous-estimé. Qui a conscience que plus de 80 % du commerce mondial se fait par voie maritime et que 90 % des communications internationales empruntent des câbles sous-marins ? Qui se doute des effets cataclysmiques qu’aurait l’interruption du trafic maritime en quelques semaines ? Les routes maritimes sont pourtant les artères de la mondialisation, et c’est ce qui justifie l’intérêt constant que leur portent les grandes puissances. Loin d’être un luxe la puissance navale est une condition impérative de la liberté : liberté de commercer, d’agir pour protéger ses intérêts, de résister aux chantages sur l’accès aux ressources car, comme le disait Walter Raleigh : « Qui tient la mer tient le commerce du monde qui tient le commerce tient la richesse qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même. » (Source : 4e de couverture de l’ouvrage de Pierre Royer, Géopolitique de la mer et des océans, PUF, réed. 2014)
Document 2. Expliquez-nous... la dissuasion nucléaire
Document 3. Le poids des forces sous-marines (1) dans les armes nucléaires en 2001 et nombre de SNLE en 2021
1. On distingue donc deux types de sous-marins, en fonction de leur propulsion : les sous-marins conventionnels, qui représentent la plus grande partie de la flotte mondiale, et les sous-marins nucléaires.
Parmi ces derniers, la grande majorité des sous-marins nucléaires sont des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA, ou SSN selon le terme anglo-saxon pour subsurface nuclear) qui ont un panel de missions varié, mais ne mettent pas en œuvre d’arme nucléaire. Une petite part seulement des sous-marins nucléaires sont des SNLE (SSBN – sub surface balistic nuclear – armés de submarine-launched ballistic missiles (SLBM)), qui constituent les composantes océaniques de la dissuasion. S’ils sont peu nombreux, les SNLE jouent un rôle déterminant dans les grands équilibres géostratégiques mondiaux.
Mise à jour du document 3 : d'après un rapport du Pentagone de novembre 2022, la Chine disposerait désormais de 6 SNLE (pour en savoir plus - cliquez ici)
Document 4. Un état des lieux des rapports de force
Le chef d’état-major français, l’amiral Christophe Prazuck, répète que Pékin a « construit en quatre ans l’équivalent de la marine nationale » et a déjà déployé en Méditerranée plus de bateaux que les armées européennes. La marine chinoise affiche désormais 1,6 million de tonnes, en deuxième position derrière les Etats-Unis (3,3 millions de tonnes) et juste devant la Russie (1 million).
« La Chine produit depuis les années 2010 des bâtiments en série, elle déroule depuis 2015 sa politique de défense de ses “intérêts outre-mer” pour se déployer au-delà de la première chaîne d’îles » – la frontière maritime immédiate tenue par des alliés des Etats-Unis (Japon, Philippines et Taïwan). Alexandre Sheldon-Duplaix, chercheur au service historique de la défense et coauteur, avec Stéphane Gallois, de cet ouvrage, souligne que le cap est clair.
« La dernière grande transformation est l’arrivée de missiles antiaériens de longue portée pour se défendre en haute mer. » Désormais, quantité et qualité vont de pair pour Pékin. Les progrès chinois sont fondés sur une innovation technologique endogène. Ils se sont illustrés en 2018 par le premier test à la mer d’un canon électromagnétique destiné à de petits croiseurs, le développement de missiles balistiques anti-porte-avions, ou encore le programme d’un porte-avions chinois à six catapultes – avec la technologie électromagnétique que viennent de maîtriser les Etats-Unis, ce qui veut dire que Pékin domine la conception de bâtiments électriques.
Avec ses sous-marins, encore très peu discrets, Pékin reste dans une logique de bastion – mais ses bâtiments nucléaires lanceurs d’engins devront pouvoir tirer leurs missiles longue portée depuis la mer de Chine du Sud. Et dans cette région où Pékin militarise sans pause des îlots contestés, préserver la liberté de navigation exige des Occidentaux une présence toujours plus marquée.
Le premier objectif de Pékin est de « repousser un soutien américain à un allié du Pacifique occidental ou à Taïwan, dans l’hypothèse où la Chine voudrait forcer la réunification », explique l’historien Sheldon-Duplaix. Pour la décennie qui vient, « la Chine n’a pas l’intention de venir au large impressionner une autre puissance », assure-t-il.
Mais au-delà, les tensions pourraient monter. Ces développements confortent une modernisation réactive de toutes les puissances navales. Et la « sanctuarisation agressive » de régions toujours plus nombreuses comporte des risques.
Dans son dernier budget militaire, le Japon a prévu de lancer une nouvelle classe de destroyers de 3 900 tonnes. Sa décision d’acheter plus d’avions de chasse F-35 que prévu aux Etats-Unis, des bombardiers pouvant se poser sur son « porte-hélicoptères » Izumo, augure d’opérations plus coercitives dans la région, qu’elles soient menées sous couvert de la coopération avec la flotte américaine ou non.
Quant à l’US Navy, sa priorité affichée est de renforcer « l’aptitude au combat » de ses navires, notamment au sein de ses groupes aéronavals. Les systèmes chinois de missiles anti-porte-avions les obligeront « à intervenir à une distance de 2 000 km des côtes chinoises », souligne Alexandre Sheldon-Duplaix. La Navy investit ainsi dans des drones navals ravitailleurs pour étendre le rayon d’action de ses porte-avions. « Il leur faut aussi conserver de la puissance de feu, le but sera de gagner la bataille dans la première journée. »
La Russie de Vladimir Poutine possède six fois moins de navires que l’URSS. Elle modernise sa flotte avec des moyens limités et ne parvient plus à produire de grands bâtiments de surface. Mais sa marine, consacrée au « déni d’accès », acquiert des capacités nouvelles très performantes. « Comme elle ne peut pas remplacer ses bâtiments océaniques, elle les arme avec des missiles qui portent plus loin à terre, comme en mer : des armes capables de faire jeu égal avec les Tomahawk américains, combinés avec des missiles supersoniques anti-navires de longue portée. » Son projet de nouvelle torpille « anti-cités » à charge et propulsion nucléaires illustre cette volonté de compenser la supériorité conventionnelle américaine. Et ses compétences sous-marines sont prises extrêmement au sérieux par les autres puissances.
Moins observées, d’autres marines « affichent l’ambition de se déployer en dehors de leur périmètre immédiat » : celle de l’Iran, pour acheminer des armes à ses alliés ; ou de la Turquie, qui ouvre des bases en Somalie et au Qatar.
Les marines européennes, elles aussi, vont toujours plus loin en mer, au gré des opérations de l’UE et de l’OTAN. Elles pourraient cependant faire mieux, compte tenu des investissements qu’elles consentent dans leurs forces navales, estiment les experts. Elles ont notamment pris du retard face aux missiles russes hypersoniques, qui permettent désormais à une seule frégate d’empêcher l’approche d’une côte.
Le Royaume-Uni vit des difficultés de recrutement et de budget. Le manque de disponibilité des navires allemands est problématique. Et dans ce contexte mondial, la France, deuxième territoire maritime, n’a pas assez de moyens par rapport à ses ambitions, assurent les spécialistes de Flottes de combat. « Ses capacités antiaériennes ne sont pas suffisantes, elle n’a pas d’artillerie lourde pour des opérations anti-terre, et pas assez de sous-marins ou d’autres plates-formes capables de lancer des missiles de croisière », précise M. Sheldon-Duplaix.
Nathalie Guibert, Les puissances militaires se préparent à de futures confrontations en mer,
Le Monde, 7 février 2019
Sujet 1. Affirmer sa puissance à partir des mers et des océans : la dissuasion nucléaire et les forces de projection maritimes - le cas d’une puissance mondiale, les Etats-Unis
1. Lisez avec précision l’article de Pierre Royer, Les Etats-Unis, maître des mers paru dans la revue Hérodote en 2016 et faites-en un compte rendu oral à vos camarades.
Document 5. Pierre Royer, Les Etats-Unis, maître des mers paru dans la revue Hérodote en 2016
Quelques conseils :
Présenter la source (date, titre de l’article, revue dans laquelle il a été publié, présentation rapide de l’auteur).
Rappeler la problématique qu’il entend traiter dans son article.
Mettre en évidence les principales idées clés défendu par l’auteur dans l’article (celui est décomposé en partie, cela vous guide dans la sélection de l’information) : attention il ne s’agit pas de recopier tout l’article mais d’identifier les idées clés !
Le plan qu’il adopte vous permet d’identifier sa démarche.
Pour vous aider dans votre travail :
Le manuel p. 40-41 dispose de documents en lien avec l’article – certains peuvent être utilisés pour illustrer le compte rendu.
Vous pouvez suivre le plan suivant :
La puissance navale des Etats-Unis s’affirme au cours du XX° siècle
Une puissance navale au service du hard et soft power
Expliquer et comprendre le leadership naval des Etats-Unis
Un nouveau contexte géopolitique qui mettra un terme à la suprématie américaine ?
Sujet 2. Affirmer sa puissance à partir des mers et des océans : la dissuasion nucléaire et les forces de projection maritimes - le cas d’une puissance régionale, l’Inde
1. Répondez aux questions 1 à 6 et faites-en un compte rendu oral à vos camarades permettant de répondre au sujet proposé. Vous pourrez illustrer votre propos par un ou deux documents.
1. Dites ce que représente l’océan Indien pour l’Inde (document 3 p. 43 et document 6)
2. Montrez les difficultés que rencontre L’Inde pour s’y imposer (documents 3 et 5 p. 43 et document 6)
3. Montrez comment a évolué la question du nucléaire pour l’Inde et dites pourquoi (document 2 p. 42)
4. Dites comment l’Inde entend garantir désormais sa sécurité dans la région (dates clés p. 38, repère p. 42, documents 1 p. 42, 3 p. 42, document 6).
5. Après avoir lu la définition du théorème de Castex p. 47, aidez-vous du travail réalisé et du repère p. 42 ainsi que des documents 3, 4 p. 43 et document 6 pour dire pourquoi la marine indienne est représentative d’une puissance régionale.
Document 6. L’Inde et son océan
Traditionnellement, le pays considère l’Océan Indien (74 millions de km2) comme sa mare nostrum, ou mare indicum, et son influence dans cette arrière-cour stratégique comme une preuve de son statut de puissance régionale. L’Inde a l’ambition d’assurer la sécurité et la stabilité de la zone et d’y accroître encore son rôle. Pour cela, elle mise à la fois sur l’Indian Navy et sur ses bases stratégiques, mais aussi sur les organisations régionales de sécurité maritime (à l’efficacité discutée) et sur des accords de défense, comme avec Oman ou le Mozambique. Depuis 1994, elle développe une « Look East Policy » parallèlement vers la Mer de Chine voisine qui déplaît fortement aux Chinois. Cette toile de fond implique la modernisation accélérée de ses forces navales, un premier groupe aéronaval devant être opérationnel vers 2030, dissuasion nucléaire embarquée comprise. L’Inde a une doctrine officielle de « dissuasion minimum crédible » et de non-emploi en premier. (…). Elle chercherait en réalité à pouvoir « tirer en premier » si besoin était, ce qu’illustrent les tests du nouveau missile balistique terrestre Agni-V (2e test en septembre 2013 dans le golfe du Bengale), d’une portée théorique d’environ 5 000 km, donc pouvant atteindre Pékin. En revanche, concernant la composante océanique, les récents essais balistiques maritimes ne suffisent pas à combler un retard estimé par les experts à une ou deux décennies sur le missile stratégique naval chinois JL-2, d’une portée théorique proche des 8 000 km, contre 2 000 à 3 000 km potentiels pour ses concurrents indiens testés au printemps 2014. L’Inde cherche elle aussi à acquérir la triade nucléaire. Comme la Chine, le pays souffre d’un complexe obsidional, percevant comme menaçant l’axe nucléaire Chine-Pakistan, ainsi que les liens existants entre les Chinois, la Birmanie et le Bangladesh. Tous participent à un « collier de perles » dont l’existence ne paraît plus faire aucun doute à New Delhi, ce qui lui permet par la même de justifier ses propres dépenses militaires.
L’Océan Indien est un vaste carrefour stratégique traversé de routes maritimes vitales pour la Chine et l’Inde, toutes deux étant dépendantes à la fois de leurs approvisionnements énergétiques extérieurs et, surtout pour le dragon chinois de leurs capacités exportatrices. Premier importateur mondial de pétrole, la Chine voit ainsi passer par cet océan près de 80% de ses importations de pétrole brut. L’Inde importe près de 80% de ses besoins en énergie et est déjà le 4e importateur mondial de gaz. Toute rupture de cette artère « jugulaire » aurait de graves répercussions socio- économiques et stratégiques pour les deux pays, voire au-delà. Cette situation de dépendance énergétique confère à la puissance dominant actuellement cette zone maritime, en l’occurrence les Etats-Unis, des moyens de pressions considérables représentant donc une atteinte potentielle à l’indépendance des deux pays (mais aussi du Japon), ne serait-ce que pour le contrôle de leurs propres eaux territoriales (des ressources d’hydrocarbures offshore sont de plus présentes dans les eaux indiennes). Dirigeants et experts chinois considèrent ainsi que les enjeux de sécurité les plus importants se trouvent dans le domaine maritime, et l’Inde pense qu’elle pourrait se voir confier à un rôle stratégique secondaire si elle ne renforçait pas sa marine de guerre en conséquence. Ceci justifierait une lutte commune contre la piraterie, en particulier dans les détroits de Bab- el-Mandeb (golfe d’Aden), Ormuz et Malacca, et le besoin pour les deux puissances asiatiques de résoudre leur dilemme sécuritaire dans cette zone, dilemme dit « de Malacca » pour la Chine, en contrôlant ces points de passages aussi vitaux qu’aisément blocables. Or, ce motif servirait à la fois de prétexte et d’argument diplomatique à chacun pour tenter de quadriller l’échiquier océano-indien de bases ou de facilités navales. Toutefois, la Chine cherche à ouvrir de nouvelles voies terrestres comme alternative, ou complément, au détroit de Malacca. Certains ports pakistanais (Gwadar) et birmans deviennent dès lors, dans ce système, des interfaces maritimes à sécuriser.
La rivalité Chine/Inde dans l’Océan Indien, centre de documentation de l’école militaire, 28 juin 2014
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