Il pleuvra fort ce soir sur les Aiguilles – Retour sur le bombardement de la Ricamarie
Initialement prévu le 04 mars 1944, le bombardement de l’usine Nadella à la Ricamarie (Loire) a finalement lieu dans la nuit du 10 au 11 mars 1944.
Vers 19h45 (heure anglaise), 16 Lancaster du 617th squadron décollent de la base aérienne de Woodhall Spa en Angleterre. Les bombardiers sont au-dessus de la Ricamarie vers 23h45 et lâchent de très nombreuses bombes 1000 lb et des bombes incendiaires. Ils sont de retour en Angleterre vers 3h30. On compte 51 morts et 70 blessés à la Ricamarie mais aussi 8 morts et 16 blessés au Chambon-Feugerolles.
Bombardement de la Ricamarie. Obus non explosé : photographie [1944, 10 mars]. Archives Municipales de Saint-Etienne, 5 H ICONO 36 (97)
Origine et déroulement du bombardement de la Ricamarie.
Daniel Décot , dans ouvrage Pilotes français sur la vallée du Rhône, décrit avec précision le déroulement de ce bombardement.
Il pleuvra fort ce soir sur les Aiguilles. Récit extrait de l’ouvrage de Daniel Décot, Pilotes français sur la vallée du Rhône, 1982.
La préparation du bombardement par la RAF de l’usine Nadella à La Ricamarie, à quelques kilomètres au sud-ouest de Saint Etienne, ne manque pas de pittoresque !
Fin 1942, Marguerite Gonon, apprenait par sa belle-sœur que cette usine fabriquait, sous contrôle allemand, des roulements à billes pour avions. Elle en parla à un résistant, qui, parti pour Londres, ne donna pas suite à son information.
Durant l’été 1943, la tenace « Christine » reprenait contact, par l’entremise du Docteur Replat, avec deux autres résistants qui jugeaient cette fois-ci le renseignement intéressant. Mais il fallait transmettre l’information à Londres par un autre moyen que le poste émetteur, rare et très surveillé.
En septembre, un appel téléphonique de Yves Ledeuff la priait de « venir chercher ses bouquins à Clermont-Ferrand ». Il s’agissait en réalité de venir prendre possession d’un pigeon voyageur parachuté par la RAF avec son sac de grains ! « A chaque patte, l’oiseau avait été muni d’un petit tube en matière verte, contenant crayon et papier à filigrane ». Son transport entre Clermont-Ferrand et Saint Etienne, dans un compartiment de chemin de fer bondé de soldats allemands, attira surtout l’attention d’une voyageuse française qui voulait absolument voir le petit chat au fond de son panier.
Le 21 septembre, « Christine » lâchait le pigeon voyageur emportant les coordonnées précises de l’usine. Quarante-huit heures après, un message annonçant son arrivée en Angleterre était transmis : « Jean Bourg est bien arrivé ».
Des équipages anglais travaillèrent sur la maquette de l’usine pour se retrouver quelques mois plus tard dans leurs bombardiers, à destination du département de la Loire.
Dès le lâcher des fusées éclairantes, vers vingt-trois heures, au-dessus de l’usine, des centaines de personnes partirent se réfugier dans les bois.
« Les appareils descendaient en piqué et lâchaient leurs bombes dans un bruit assourdissant accompagné de gerbes de flammes. Ils plongeaient par vagues successives de trois ou quatre appareils puis rasaient les toits avant de disparaître dans la nuit ».
Le bombardement, qui dura 45 minutes, s’effectua avec précision. L’usine Nadella, entièrement détruite, ne fut jamais reconstruite. Malgré toute la grande rue de La Ricamarie, les quartiers de Montrambert, de La Verrerie, de Méline furent atteints ; « dix maisons furent détruites, la route nationale 88 et la ligne de chemin de fer Saint Etienne-Langeac touchée, les voies 1 et 2 coupées en plusieurs endroits. Un wagon d’explosif sauta près de la gare qui fut, de ce fait, très endommagé. La circulation ferroviaire fut interrompue quarante-huit heures. On déplora 51 morts et 70 blessés à La Ricamarie, 8 morts et 16 blessés au Chambon-Feugerolles » .
D’après Daniel Décot , Pilotes français sur la vallée du Rhône,1982.
Le témoignage de la résistante et historienne Margueritte Gonon sur les origines du bombardement – à partir de 7 min 37 à 14 min. 20.
Dans cet extrait, Margueritte Gonon explique comment elle a transmis les coordonnées de l’usine Nadella aux Alliés (à visionner à partir de 7 min. 37 s. à 14 min. 20 s.).
Le témoignage exceptionnel de Madame Moiron, rescapée du bombardement de la Ricamarie.
Au mois d’avril 2021, Monsieur Lucien Moiron m’a transmis et autorisé à reproduire l’intégralité du témoignage de son épouse, Jeannine Moiron. Elle décrit cette nuit terrible du 10 mars 1944.
« Nous habitions en face de l'usine Nadella qui fabriquait des roulements à aiguilles pour l’Allemagne. Nous étions à mi-chemin entre le centre de la Ricamarie et Montrambert qui était le bas de la ville, mes parents tenaient un petit café qui avait un billard et une petite épicerie où les denrées étaient rares.
La journée du 10 mars 1944 se terminait et à 23 heures comme tous les jours, (j'étais une couche-tard), je m'apprêtais à aller me coucher lorsque les sirènes se mirent à hurler et comme dans ces cas-là on s’habillait rapidement Maman ma sœur et moi descendions en direction de Montrambert où on se croyait en sécurité, je crois que cette nuit-là, cette direction nous a sauvé la vie.
Quelques minutes après le hurlement des sirènes j'ai entendu des explosions et j'ai constaté que tout le quartier était éclairé comme en plein jour, et que des feuilles de papier tombaient du ciel, ces feuilles, que nous avons lus plus tard, nous avertissait qu'il y avait des bombes à retardement et qu'il fallait quitter rapidement les lieux. Nous courrions le plus vite possible en direction de Montrambert, nous nous mettions à plat ventre chaque fois que des avions arrivaient suivis d'effroyables explosions, Heureusement les premières bombes sont tombées entre Le centre et Nadella, c'est ce qui nous a permis de descendre assez bas pour nous retrouver dans le jardin d'une villa
Le propriétaire nous a récupéré pour nous faire descendre dans une cave de sa maison ou il y avait déjà sa famille et quelques personnes, nous avons entendu tout le bombardement la peur au ventre, qui a duré une heure, en se demandant si la prochaine vague serait pour nous ; ça n'a pas été le cas mais nous l'avons échappée belle, en effet étant sortie avec un monsieur nous avons été interpellés par des pompiers qui nous ont dit de quitter rapidement la maison car il y avait une bombe à retardement, celle-ci a explosé une demi- heure après.
Les secours étaient arrivés de toute part. J'ai retrouvé mon père qui remontait du travail de nuit chez Verdié, qui a dit en me voyant « il m'en reste au moins une » je me suis empressée de le rassurer. Mais nous étions sans abri, nous n'avions plus rien ; par chance nous avions une cousine qui disposait de deux pièces libres à Firminy qu'elle a mis immédiatement à notre disposition, et c'est ainsi que nous nous sommes retrouvés habitant en face des parents de mon futur mari.
Je suis revenue avec mon père 2 jours après pour voir l'horreur, l'immeuble coupé en deux, le billard en morceaux, les poupées de ma sœur fracassées, devant un tel désastre je me suis écroulée il a fallu tout l'amour de mon papa pour me réconforter, mais en gardant une certaine rancœur, tout ça à cause de la folie des hommes. »
L'enterrement des victimes - La Ricamarie - 14 mars 1944 - Archives Municipales de Saint-Etienne - Série 5H ICONO 36
Vue générale sur la Ricamarie depuis le puits Pigeot - Mars 1944 - Archives Municipales de Saint-Etienne - Série 5H ICONO 36
Destructions causées par le bombardement - La Ricamarie - Mars 1944 - Archives Municipales de Saint-Etienne - Série 5H ICONO 36
Dans quel contexte s’inscrit ce bombardement ?
Si les bombardements alliés sur la France ont débuté dès 1940, ceux-ci s’intensifient à partir de 1944. Les raids se multiplient, occasionnant de nombreux dégâts matériels et une augmentation du nombre de victimes civiles. La région stéphanoise est ainsi frappée dans la nuit du 10 au 11 mars 1944 pour la Ricamarie et le 26 mai 1944 pour Saint-Etienne.
Cette intensification est à mettre en relation avec la préparation du débarquement de Normandie avec, sur le plan aérien, l’adoption de deux plans : l’opération Point Blank et le Transportation Plan. Le premier (L’opération Point Blank) consiste à fragiliser fortement la capacité de la Luftwaffe, l’avion de guerre nazie (des chaînes de fabrication des usines jusque dans les airs) ; le second (le Transportation Plan) entend fragiliser le système ferroviaire français et ainsi compliquer le déploiement des renforts allemands en direction vers la Normandie. Comme le précise l’historien Jean Charles Foucrier : « Si l’opération Point Blank se concentre principalement sur le Reich, la majeure partie du Transportation Plan concerne la France, et dans une moindre mesure la Belgique ».
Pour autant les bombardements qui frappent la région stéphanoise aux printemps 1944 relève de ces deux logiques.
Un souvenir encore bien présent dans la mémoire locale
Chaque année, à l’appel de la municipalité et des anciens combattants une commémoration est organisée devant la plaque commémorative de l’évènement.
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Pour aller plus loin sur les bombardements alliés.
Foucrier Jean-Charles, « Les bombardements alliés sur la France, prélude au débarquement de Normandie (janvier – juin 1944). Un aperçu des ressources Historiographiques de la BDIC. », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2015/1 (N° 115 - 116), p. 85-89. DOI : 10.3917/mate.115.0085.
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