10 août 1792 : la chute de la monarchie et le basculement vers une république révolutionnaire.
Document : Témoignage d’un garde national sur la journée du 10 août 1792.
[Le correspondant de René Leprêtre, habitant de Rennes, lui a raconté le 10 août et ses suites immédiates. Ces lettres sont conservées à la Ryland’s Library à Manchester. L’auteur comme on peut le remarquer, était un garde national qui a participé à cette journée].
« Paris – du 11 août 1792 – an IV de la liberté.
[…] Les esprits avaient fermenté […]. On se disait à l’oreille « cette nuit on sonnera le tocsin (1) ». La générale (2) sera battue, tous les faubourgs vont s’insurger avec les 6000 fédérés à 11 heures nous sommes revenus à la maison à l’instant même les tambours battent le rappel. Nous volons à notre section, et notre bataillon marche au château (3) ayant à sa tête deux pièces d’artillerie. À peine sommes-nous dans le jardin des Tuileries, que nous entendons le coup de canon d’alarme. […]. Bientôt les places publiques, le pont neuf, les grandes rues sont couvertes de soldats.
L’assemblée nationale qui avait levé sa séance de bonne heure, est rappelée à ses fonctions. Elle n’a pu être informée des évènements qu’on préparait pour la journée du 10 que d’une manière très imparfaite. […]. Cependant, les faubourgs s’organisaient en armée, ils avaient placé dans leur centre les Bretons, les Marseillais, les Bordelais, et tous les autres fédérés. Plus de 120 000 hommes s’avancent à travers Paris qu’ils hérissent de baïonnettes, et de piques. Santerre (4) a été obligé de les commander. On annonce à l’assemblée nationale que l’armée investit le château. Tous les cœurs sont glacés. Le salut du Roi ranime la discussion lorsque l’on apprend que Louis XVI demande à se réfugier dans le sein de l’assemblée.
La famille Royale se place au milieu des députés 48 membres sont envoyés au Palais […]. Le peuple fait au Roi des reproches amers, et l’accuse d’être l’auteur de ses maux. À peine le Roi était-il en sûreté que le bruit du canon a redoublé. […] Des officiers proposent au commandant des Suisses (5) de se retirer. Celui-ci a l’air de s’y disposer et bientôt par une manœuvre adroite, il est maître de l’artillerie que possédait la garde nationale dans la cour. Ces pièces braquées contre le peuple, tirent et le foudroient. Mais bientôt la fureur redouble de toutes parts. Les Suisses, investis, accablés, coupés, manquent de munitions. Ils implorent grâce et miséricorde mais il n’a pas été possible de calmer le peuple, furieux et indigné de la déloyauté helvétienne (6). Les Suisses, ont donc été mis en pièces. Les uns furent tués dans les appartements et les autres dans le jardin. Beaucoup ont reçu la mort aux Champs-Élysées. Du côté du peuple et des gardes nationaux combien de victimes ! Le total des morts peut aller à 2000.Tous les Suisses, faits prisonniers, ont été en partie conduits sur la place de Grève. Là, on leur a brûlé la cervelle (7). C’étaient des traîtres que la vengeance a dû sacrifier. Quelle vengeance ! Tout mon être en frémit. 47 têtes au moins ont été coupées.
La Grève a été couverte de morts, et les têtes ont été promenées au bout de plusieurs piques.
[…] On jette par terre les statues de bronze, place Royale, place Vendôme, place Louis XIV, place Louis XV […] On fait encore la chasse aux Suisses ; on poursuit les malveillants de toutes parts. L’assemblée nationale, le département, la municipalité sont en séance permanente […] Cette nuit, l’assemblée nationale a décrété la Convention nationale dans la loge du logographe (8).
Les électeurs seront réunis dans les assemblées primaires qui nommeront les députés. Il suffira qu’ils aient un domicile et 25 ans. »
Notes :
1. Le tocsin est une sonnerie de cloches donnant l’alarme
2. « Générale » renvoie au roulement de tambour appelant au rassemblement.
3. « Le château » renvoie au palais des Tuileries (résidence royale).
4. Antoine-Joseph Santerre est le chef de la garde nationale.
5. « Les Suisses » sont la garde personnelle du Roi recrutée traditionnellement en Suisse.
6. Helvétienne signifie originaire de la Confédération Helvétique (la Suisse).
7. « Brûler la cervelle » signifie exécuter d’une balle dans la tête.
8. Le logographe est le secrétaire chargé de prendre en note les propos des intervenants devant l’Assemblée.
Questions :
1. Quel est l’événement relaté dans ce document ?
2. Quelle est la situation politique en France à cette date ?
3. Identifiez dans le texte les différents acteurs de la journée ainsi que les lieux de leur confrontation.
4. Présentez, en vous appuyant sur le texte, les manifestations de la violence des participants.
5. Quelles sont les conséquences de cette journée pour la France ?
La prise des Tuileries le 10 août 1792, tableau de Jean Duplessis-Bertaux, (musée du château de Versailles).
Pistes de correction
1. Quel évènement est relaté dans ce document ?
L’auteur de la lettre, un garde national, relate la prise du palais des Tuileries survenue le 10 août 1792, résidence du roi Louis XVI et de sa famille depuis octobre 1789 ; il décrit avec précision le déroulement de la journée de l’appel à l’insurrection jusqu’aux massacres des gardes suisses.
2. Quelle est la situation politique en France à cette date ?
La situation politique en France à cette date est très complexe ; Le consensus des premiers temps de la Révolution est révolu et la rupture entre les Français et le roi est totale ; la monarchie constitutionnelle qui a été mise en place s’avère être un échec « Le peuple fait au Roi des reproches amers, et l’accuse d’être l’auteur de ses maux ». Le roi et sa famille sont d’ailleurs en danger en cette journée du 10 août « le salut du roi ranime la discussion lorsque l’on apprend que Louis XVI demande à se réfugier dans le sein de l’assemblée ». Plusieurs évènements sont à l’origine de cette rupture :
Le roi et sa famille ont tenté de fuir Paris dans la nuit du 20 au 21 juin 1791 dans l’espoir de rejoindre la place forte de Montmédy (proche des Pays Bas et du Luxembourg) et mener depuis cette place forte une contre-offensive afin de restaurer la monarchie absolue. Cette fuite est un échec puisque le roi est reconnu à Varennes et ramené à Paris. L’image positive du roi est donc complètement ruinée
Ce sentiment de trahison est d’autant plus fort que la France est en guerre contre les monarchies absolues (l’Autriche et La Prusse) depuis avril 1792 ; elle vit donc sous la menace d’une invasion (manifeste de Brunswick) qui rétablirait le roi dans ses fonctions et mettrait un terme à la révolution. La crainte des complots et d’une restauration monarchique attise les tensions.
On devine également une méfiance entre le peuple et l’assemblée nationale puisque cette dernière n’avait pas été informée des évènements qui allait survenir : « Elle – l’assemblée nationale – n’a pas pu être informe qu’on préparait pour la journée du 10 que d’une manière très imparfaite ». On peut supposer que les insurgés craignent un nouveau massacre du Champ de Mars (17 juillet 1791) qui avait permis de sauver dans le sang la monarchie constitutionnelle qui se mettait en place et voulue par les députés de l’assemblée nationale.
La rupture entre le peuple parisien d’un côté et le roi ainsi qu’une partie des députés est totale. Les tensions sont fortes et ceux qui réclament une République sont de plus en plus nombreux.
3. Identifiez dans le texte les différents acteurs de la journée ainsi que les lieux de leur confrontation
On peut identifier dans le texte toute une série d’acteurs ; deux camps s’affrontent
Les insurgés qui se composent du peuple de Paris, communément appelé les sans-culottes ; farouchement opposé au roi et à la monarchie, ils portent le pantalon (par opposition à la culotte, symbole d’Ancien Régime) et défendent la République et la Révolution. (« tous les faubourgs vont s’insurger », « du côté du peuple » ; on compte aussi parmi les insurgés des militaires : les fédérés (ou garde nationale) ; originaire de divers départements, ils sont chargés de maintenir l’ordre pendant la Révolution et de la défendre. Présents à Paris , les Marseillais les Bretons sont les plus nombreux (« cependant les faubourgs s’organisaient en armée, ils avaient placé au centre les Bretons, les Marseillais, les Bordelais, et tous les autres fédérés »).
Face aux insurgés se trouvent la garde personnelle du roi « Suisses », le roi et sa famille (« la famille royale se place au milieu des députés »).
On trouve une troisième catégorie d’acteurs : les députés de l’assemblée nationale.
L’auteur décrit avec précision le déroulement et les lieux de l’insurrection ;
Celle-ci commence dans les faubourgs où la mobilisation s’opère ; la confrontation entre les insurgés et les gardes suisses et le roi se fait au Palais des Tuileries (jardins et intérieurs du château).
Le roi et sa famille trouvent refuge à l’assemblée nationale tandis que la garde du roi est massacrée dans les appartements des Tuileries, dans les jardins puis aux Champs Elysées et fin sur la place de Grève.
La violence se manifeste sur diverses places où les statues, symboles de la royauté sont jetées à terre (place Royale, place Vendôme, place Louis XIV, place Louis XV).
4. Présentez, en vous appuyant sur le texte, les différentes manifestations de la violence des participants.
La violence prend différentes formes ; c’est tout d’abord un affrontement militaire (« ces pièces – les canons – braquées contre le peuple tirent et le foudroient ») ; elle prend la forme d’un massacre par la foule (« les Suisses ont été mis en pièces. Les uns furent tués dans les appartements et les autres dans le jardin ») ou bien encore d’exécutions sommaires (« Là, on leur a brûlé la cervelle »). Les victimes sont également mutilées (« 47 têtes au moins ont été coupées », « les têtes ont été promenées autour de plusieurs piques »).
Enfin la violence est symbolique avec la destruction des statues qui symbolisent le pouvoir royal.
5. Quelles sont les conséquences de cette journée pour la France ?
Les conséquences de cette journée sont multiples ; certaines sont évoquées à la fin du texte ; c’est la fin de la monarchie constitutionnelle et l’élection d’une nouvelle assemblée au suffrage universel (« cette nuit, l’assemblée nationale a décrété la Convention nationale », « les électeurs seront réunis en assemblées primaires qui nommeront les députés. Il suffira qu’ils aient un domicile et 25 ans ») ; la République est proclamée le 21 septembre 1792 et une nouvelle constitution est adoptée. Quelques mois plus tard le roi est jugé et guillotiné (21 janvier 1793).
Pour autant la jeune République ne parvient pas à faire face aux difficultés internes qui se multiplient (soulèvement des Chouans en Bretagne puis de la Vendée, insurrection fédéralises) et aux menaces externes (de nombreuses monarchies sont désormais coalisées contre la France) ; la convention confie le pouvoir à un comité de Salut Public et la France s’enfonce un peu plus dans la violence (mise en place de la Terreur).
Pour aller plus loin
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La prise des Tuileries | BNF ESSENTIELS
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https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/prise-tuileries