Le rôle des individus et des sociétés dans l’évolution des milieux : « révolution néolithique » et « révolution industrielle », deux ruptures ?
Exercice introductif. Des termes qui font débat
1. A l’aide du manuel p. 390-391, définissez les termes « révolution néolithique », « révolution industrielle », « anthropisation ».
2. A l’aide du manuel et des documents 1 et 2, montrez que les termes de « révolution néolithique » et « révolution industrielle » sont objet de débats
Document 1. Le néolithique, avec Jean-Paul Demoule , professeur émérite de protohistoire européenne à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne (Paroles d’histoire, 04 septembre 2019 - De 8 min 02 à 11 min. 42)
Document 2. La « révolution industrielle » : un mythe ?
L’expression a commencé à être employée à la fin du XVIII° siècle avant d’être popularisée autour de 1830 et de connaître une consécration universitaire dans les années 1880. En France, l’économiste Adolphe Blanqui l’utilise dans son Histoire de l’économie politique (1837) dans un passage où il compare « la révolution française [qui] faisait ses grandes expériences sur un volcan » et « l’Angleterre [qui] commençait les siennes sur le terrain de l’industrie ». Alors que la France était à l’avant-garde de luttes politiques effrayantes pour les élites de l’époque, l’Angleterre se transformait pacifiquement via les mutations de la technologie. Pour ses promoteurs, cette expression devait offrir un antidote aux désordres politiques en substituant « le gouvernement des choses à celui des hommes ». En révolutionnant la production, il s’agissait de refermer la Révolution française et son cycle de violences au profit de l’industrie perçue comme une force pacificatrice. (…) Loin d’être une catégorie analytique permettant de penser ce qui advient, la « révolution industrielle » est d’abord une fable qui s’inscrit dans des luttes ; elle sert à justifier les mutations en cours en les présentant comme inéluctables car inscrites dans le sens de l’histoire.
Longtemps omniprésente dans les manuels scolaires et les discours décrivant le passage, entre le XVIII° siècle et le XIX° siècle, d’une société essentiellement agricole et rurale à un monde industrialisé, de plus en plus urbain et envahi par les marchandises, la « révolution industrielle » a pourtant été fortement contestée. L’expression fonctionne en effet d’abord comme un mythe, c’est-à-dire une « image simplifiée et souvent illusoire que des groupes humains élaborent ou acceptent et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation » (…). La « révolution industrielle » est une formule rassurante qui insiste sur le rôle décisif des techniques (la vapeur), le « génie » de quelques inventeurs (James Watt) et la rapidité du processus. À l’inverse, de nombreux travaux ont montré que l’industrialisation fut lente et graduelle, très variable, que la machine à vapeur n’occupa pendant longtemps qu’un rôle secondaire et marginal et ne fut jamais à l’origine du processus. Loin de découler de quelques innovations miraculeuses promues par des inventeurs héroïques, l’industrialisation du monde fut un processus de longue durée, modelé par les inégalités, par l’accès aux ressources naturelles, par des luttes sociales et politiques incessantes.
Dès lors, l’expression « révolution industrielle » a d’abord une fonction idéologique, elle relève d’une rhétorique qui gomme les incertitudes et les contradictions du processus en le présentant comme linéaire, elle offre un langage simple, voire simpliste, pour expliquer des évolutions compliquées. Elle tord le réel en donnant la primauté à l’Occident, à ses techniques et à ses savants contre le reste du monde, en valorisant la figure de l’entrepreneur et l’innovation contre les artisans et les outils anciens, en célébrant le changement sans prêter attention à ses impacts sociaux ou écologiques. Dans sa fresque Civilisation matérielle, économie et capitalisme (XVe-XVIIIe siècles), Fernand Braudel notait à propos de la « révolution industrielle » : « Si massive, si envahissante, si novatrice soit-elle, elle n’est pas, elle ne peut pas être, à elle seule, la totalité de l’histoire du monde moderne ». Depuis, de nombreux auteurs ont montré la complexité du processus selon les territoires et les époques.
L’interprétation de la « révolution industrielle » a par ailleurs beaucoup évolué et fluctué. En Grande-Bretagne, une vision assez négative et pessimiste du processus domine ainsi des années 1880 aux années 1920 alors que le pays semble dépassé par de nouvelles puissances ; dans l’entre-deux-guerres, ce sont surtout les crises qui retiennent l’attention. Durant les « Trente Glorieuses » s’impose à l’inverse une lecture optimiste de l’industrialisation célébrant la croissance, et fondée principalement sur une approche quantitative.
François Jarrige, Révolutions industrielles : histoire d’un mythe dans Revue Projet 2015/6 (N° 349), pages 14 à 21
Comment la néolithisation et l’industrialisation ont transformé l’impact des sociétés sur les milieux ?
Exercice 1. La « révolution néolithique », une domestication des milieux par l’homme
1. Dites comment les sociétés humaines ont modifié leur milieu et indiquez quelles ressources elles en ont tiré (documents 1 à 3 p. 392-393).
2. Identifiez les facteurs permettant de comprendre le passage à la néolithisation ; vous veillerez à justifier votre propos (documents 3 et 4 p . 393 et document 3 ci-dessous)
3. Identifiez les conséquences positives et négatives de la néolithisation sur l’environnement et la santé humaine (document 1 p. 392 et document 3).
4. Montrez que la néolithisation a aussi un impact sur la structure sociale (doc 3 et 4 p. 393 et document 3)
Bilan. A partir du travail réalisé, vous rédigerez une réponse structurée dans laquelle vous montrerez les effets de la néolithisation sur l’environnement et sur l’homme
Document 3. Nouveaux regards sur la révolution néolithique
Après deux millions d'années de charognage, de chasse, de pêche et de cueillette, l'espèce humaine, vers - 12 000 ans, commence à modifier son rapport à la nature. Elle "invente" l'agriculture et se met à pratiquer l'élevage.
Jean-Paul Demoule et Jean Guilaine sont respectivement professeur de protohistoire européenne à l'université Paris-I et professeur honoraire au Collège de France.
(…) Pourquoi, selon vous, le genre Homo s'est-il décidé à se sédentariser et à domestiquer les plantes et les animaux ? Un événement qui a changé le cours de l'histoire humaine.
Jean Guilaine. Pendant longtemps, on a expliqué ce processus par une contrainte du milieu naturel, qui aurait poussé les hommes à rechercher des moyens accrus pour s'alimenter. En fait, la réponse n'est pas matérialiste, et l'économie n'a pas été un motif mais plutôt une conséquence de cette révolution. Ce n'est pas le champ qui a fixé l'homme, mais ce dernier qui s'est fixé. Pourquoi ? Parce qu'à un moment donné de son histoire, il a recherché d'autres modes de vie. C'est un choix culturel, une initiative qui n'a pu se réaliser que dans un environnement favorable où existaient des espèces domesticables.
Jean-Paul Demoule. Entre - 10 000 et - 5 000, on constate une coïncidence troublante : pendant cette période, plusieurs foyers de néolithisation, indépendants les uns des autres, sont apparus d'abord au Proche-Orient (blé, orge, mouton, chèvre, porc et boeuf), puis au Mexique et dans les Andes (maïs, courge, haricot et lama), en Chine (millet, riz, porc, poulet et boeuf) et en Nouvelle-Guinée (taro - un tubercule - et banane).
C'est sans doute le résultat d'une alchimie très complexe et d'un déclic idéologique qui a donné à l'homme l'idée de prendre le contrôle de ses ressources nutritives. Car Homo sapiens a, depuis cinquante mille à cent mille ans, les mêmes capacités psychomotrices. Mais à elle seule, la sédentarisation ne suffit pas.
J. G. En effet, certains chasseurs-cueilleurs sont restés sédentaires pendant très longtemps au nord de l'Eurasie, au Japon et sur la côte nord-ouest des Etats-Unis et du Canada. C'était souvent lié à la présence de ressources aquatiques (poissons, coquillages, mammifères marins), auxquelles s'ajoutaient la chasse et quelques expérimentations agricoles. Au Japon, la culture de Jomon s'est échelonnée depuis - 12 000 jusqu'au début de notre ère. Mais ces chasseurs-cueilleurs, qui connaissaient la poterie, n'ont pas basculé dans le néolithique.
(…)
J.-P. D. Il y a aussi la réponse sociale, qui constitue la vraie rupture. Vers - 4 500, la société commence à s’hiérarchiser avec la naissance d'une élite. Dans la nécropole de Varna (Bulgarie), on a découvert plusieurs centaines de tombes. Certaines ne contiennent que des ossements, tandis que d'autres renferment aussi des objets de prestige : des bijoux et des sceptres en or, ainsi que des lames de silex, longues de 45 cm, qui n'ont pas de but utilitaire. Sur la côte atlantique, on retrouve le même processus avec les mégalithes. En Bretagne, par exemple, l'élite est inhumée avec des parures et de longues haches vertes de 40 cm de long, dont la pierre vient du mont Viso, dans les Alpes. Il y a là une mobilisation d'une partie du corps social pour produire des objets inutiles et de prestige et la mise en place de réseaux commerciaux. Apparaissent aussi des signes d'activité idéologique religieuse, avec la réalisation de grands sanctuaires.
Qu'en est-il de l'habitat, de l'urbanisation ?
J. G. Au début, au Proche-Orient, entre - 12 000 et - 9 000, les hommes commencent par construire des maisons circulaires aménagées en fosse, puis des maisons quadrangulaires bâties en matériaux divers : bois, pierre, boue, brique moulée et séchée au soleil. Par opposition, en Europe, la grande maison danubienne qui existe vers - 5 500 n'a rien à voir avec ce modèle. Ce sont des maisons à ossature en bois, dont la longueur varie de 10 à 40 mètres. Beaucoup plus tard, au Proche-Orient, entre - 3 500 et - 2 500, le regroupement des populations se traduira par la formation des premières villes (Uruk) et des premières cités-Etats (Sumer).
La maîtrise de l'agriculture a permis d'assurer à l'espèce humaine la sécurité dans sa subsistance. Mais on dit souvent qu'elle a fait apparaître des inégalités sociales, ainsi que la violence, car l'organisation sociale devient plus contraignante...
J. G. En réalité, les conflits sont antérieurs au néolithique. (…). Mais le néolithique n'a pas arrangé les choses, car on pouvait piller les réserves. De plus, la guerre permettait de se valoriser et le guerrier vigoureux pouvait occuper une place sociale enviable. Petit à petit s'est développée une idéologie du guerrier.
En Europe, cette tendance est manifeste dès - 4 000 et elle s'affiche sur les statues-menhirs. L'homme s'y montre comme un guerrier détenteur d'éléments d'autorité. Tandis que la femme est représentée sous un aspect plus naturel, biologique : elle exhibe ses seins et des colliers. La domination masculine a une longue histoire !
J.-P. D. Au néolithique, on assiste à l'émergence de la violence entre riches et pauvres et entre communautés. On constate l'existence, vers - 3 500, au Proche-Orient de traces de stress, de maladies, d'épidémies, ainsi que des problèmes de ravitaillement. Progressivement, les villages s'installent sur les hauteurs et se fortifient. Vers la fin du néolithique, que l'on situe vers - 3 000 au Proche-Orient et en Europe à partir de l'âge du bronze vers - 2 000, on assiste à la maîtrise progressive du bronze, qui résulte de l'association du cuivre et de l'étain. Ce qui permet de réaliser des armes, des épées et des haches. On va entamer une course aux armements, car on va aussi inventer le casque et la cuirasse.
Nouveaux regards sur la révolution néolithique,
propos recueillis par Christiane Galus, Le Monde, le 27 septembre 2008
Exercice 2. La « révolution industrielle », dégradations et prise de conscience (1750 -1914)
1. Identifiez les éléments qui montrent une transformation des milieux due à l’industrialisation (documents 1 et 2 p. 394 et document 4).
2. Relevez les conséquences de l’industrialisation sur les individus (document 1 p. 394)
3. Montrez que la question environnementale constitue un enjeu dès le début de la « révolution industrielle » et dites comment cette question est résolue (documents 3 et 5 p. 395 et document 5)
4. Montrez néanmoins que les sociétés sont en quête d’une nature sauvage et préservée (documents 4 et 5 p. 395)
Bilan. A partir du travail réalisé, vous rédigerez une réponse structurée dans laquelle vous montrerez les effets de la l’industrialisation sur l’environnement et sur l’homme
Document 4. Les deux Angleterre.
Journaliste et romancier britannique, John Boynton Priestley (1894-1984) entreprend en 1934 un périple en Angleterre, pays dont il décrit les multiples facettes.
« Il y a l'Angleterre du XIXe siècle, l'Angleterre industrielle du charbon, du fer, de l'acier, du coton, de la laine, des chemins de fer,[...] des usines textiles, des fonderies, des entrepôts,[...] un paysage dévasté avec cynisme de misérables petites villes recouvertes de suie, et plus noires encore, des villes sinistres semblables à des forteresses. Cette Angleterre-là forme la plus grande partie des Midlands et du Nord, elle existe partout.
Quant à [l'autre] Angleterre, j'en conclus que c'était l'Angleterre d'après-guerre, qui appartient bien davantage à notre époque qu'à nos Îles britanniques. L'Amérique, pensai-je, a été son véritable lieu de naissance. C'est l'Angleterre des routes nationales et des boulevards de ceinture, des stations-service, et des usines qui ressemblent à des halls d'exposition, des cinémas géants et des dancings, des magasins Woolworth (1), des pavillons avec de petits garages, des autocars, de la TSF (2) (...). C'est le domaine de la production de masse, de la fabrication à grande échelle, et à prix réduits ».
J. B. Priestley, English Journey, Londres, 1934.
Document 5. L'homme et son environnement dans la révolution industrielle (France.tv, 2015)
L'homme et son environnement dans la révolution industrielle
Début XIXe siècle, la première révolution industrielle transforme radicalement la société, en commençant par...
https://www.lumni.fr/video/l-homme-et-son-environnement-dans-la-revolution-industrielle