Madame Roland analyse la situation politique de la France à la fin du mois de juin 1791.
Document. Madame Roland analyse la situation politique de la France à la fin du mois de juin 1791.
[À BANCAL, À CLERMONT.]
24 juin 1791, — de Paris.
(…). On ramène Louis XVI, sa femme, ses enfants et sa sœur. Que doit-on faire d’un roi parjure, qui renonce et trahit ses engagements, viole le contrat dont il tenait son pouvoir (…) et fuit parmi les ennemis de sa nation pour revenir combattre et subjuguer le même peuple qui lui avait assuré le trône ? Tel est l’important problème qui se présente et qu’il faut résoudre avant l’arrivée de Louis XVI, puisque cette solution doit prescrire la manière de le recevoir et de le traiter. Louis XVI est en route, accompagné de quinze à vingt mille gardes nationales, et, demain matin, il sera dans nos murs. (…).
On s’agite extrêmement sur les frontières, et quels que soient le zèle et la foule de nos gardes nationales, les préparatifs et les munitions nous manquent, ainsi que l’habitude de la discipline, et des chefs habiles et sûrs. Le pays est ouvert et sans défense du côté de la Flandre ; on peut, par les Ardennes, arriver jusqu’à peu de distance de la capitale. (…).
Voici ce que nous pensons (…) Remettre le Roi sur le trône est une ineptie, une absurdité, si ce n’est une horreur ; le déclarer en démence, c’est s’obliger, d’après la Constitution qui a prévu le cas, à nommer un régent (1) ; nommer un régent serait non seulement confirmer les vices de notre Constitution dans un moment où l’on peut, où l’on doit les corriger, mais encore ouvrir les voies à la guerre civile (…). Faire le procès à Louis XVI serait, sans contredit, la plus grande, la plus juste des mesures (…) ; que votre délégué (le roi), trahissant tous ses devoirs, soit suspendu de ses fonctions jusqu’à plus mûr examen (…). Avec cette marche, (…) vous prouvez (…) qu’un roi n’est pas nécessaire et que la machine peut aller et va bien sans lui. Cependant mettez vos frontières en état de défense, ordonnez des munitions, veillez à vos finances ; les bons citoyens répandront l’instruction par des écrits, le patriotisme de la capitale s’étendra de toutes parts, la réforme de la Constitution se prépare, s’assure, et la République s’établit. Voilà ce qui nous semble devoir être préféré (…) et ce que nous répétons autour de nous.
Jeanne-Marie Roland de la Platière (1754-1793), Lettres autographes de Madame Roland, adressées à Bancal-des-Issarts (2) . Publiées par Mme Henriette Bancal-des-Issarts , Edité par Eugène Renduel, Paris, 1835
1. Personne qui assume la responsabilité du pouvoir politique (régence) pendant la minorité ou l'absence d'un souverain.
2. Jean Henri Bancal des Issarts (1750- 1826) est un ancien avocat au Parlement de Paris ; Après avoir quitté Paris il s’installe à Clermont-Ferrand pour y fonder un club politique et s’en attribue la présidence. Il nourrit alors de grandes ambitions politiques.
1. Présentez le document en insistant sur le contexte historique
2. Identifiez et expliquez les reproches que l’auteure formule à l’égard du roi.
3. Identifiez et présentez les trois solutions envisagées par les Français pour régler le sort du roi.
4. Identifiez la solution que l’auteure soutient et indiquez comment elle la justifie. Précisez quelles sont les conditions nécessaires pour que cette solution s’impose.
5. Dites si l’auteure a été entendue. Vous veillerez à bien justifier votre réponse.
Manon Philipon, dite Madame Roland par HEINSIUS Johann Ernst Jules, 1792 - Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
1. Présentez le document en insistant sur le contexte historique
Ce document est une lettre écrite par Madame Roland, une femme influente qui reçoit dans son salon parisien les grands hommes politiques de l’époque ; elle est acquise aux idées révolutionnaires et républicaines. Elle décrit à son ami Jean Henri Bancal des Issart la situation politique de la France à la fin du mois 1791 en évoquant plus particulièrement le débat qui anime les Parisiens depuis la découverte de la tentative de fuite du roi et de sa famille et leur arrestation à Varennes.
Les députés de l’Assemblée nationale constituante sont alors sur le point de faire adopter la nouvelle constitution du royaume qui est censée mettre en place une monarchie constitutionnelle mais la fuite du roi Louis XVI et de de sa famille de Paris, le 21 juin 1791 pour rejoindre des troupes qui leur sont fidèles puis son arrestation à Varennes viennent mettre en péril ce projet politique.
2. Identifiez et expliquez les reproches que l’auteure formule à l’égard du roi.
Pour Madame Roland, le roi est un roi parjure (« Que doit-on faire d’un roi parjure » ); en effet le 14 juillet 1790, lors de la fête de la fédération, Louis XVI a prêté serment à la Nation et à la loi dans un climat d'union nationale, en présence des représentants des 83 départements . Par cet acte, il jurait être fidèle à la France révolutionnaire et acceptait les mutations politiques et sociales en cours (fin de la monarchie absolue et acceptation de la monarchie constitutionnelle, abolitions des privilèges).
Elle lui reproche également d’être un traitre (« un roi…qui…fuit parmi les ennemis de sa nation pour revenir combattre et subjuguer le même peuple qui lui avait assuré le trône ») ; en fuyant Paris, le roi espérait mobilisés des troupes qui lui étaient restées fidèles pour reconquérir son trône et restaurer la monarchie absolue. On l’accuse ainsi de s’allier avec les ennemis de la révolution et de la France (les royalistes mais aussi Autriche et Prusse) qui menacent à tout moment d’envahir la France pour soutenir Louis XVI. Il convient de préciser que Louis XVI n’a jamais souhaité franchir la frontière.
3. Identifiez et présentez les trois solutions envisagées par les Français pour régler le sort du roi.
L’auteur évoque 3 solutions pour régler le sort du roi. Certains sont favorables à son maintien sur le trône (« Remettre le Roi sur le trône » ; d’autres préconisent de le déclarer fou (« le déclarer en démence »), de le remplacer par un autre monarque et de nommer en attendant un régent (« c’est s’obliger, d’après la Constitution qui a prévu le cas, à nommer un régent »). Enfin d’autres préconisent de juger le roi et de mettre définitivement fin à la monarchie en proclamant la république (« Faire le procès à Louis XVI [...]et la République s’établit »).
4. Identifiez la solution que l’auteure soutient et précisez comment elle la justifie. Précisez quelles sont les conditions nécessaires pour que cette solution s’impose.
Madame Roland est favorable à la troisième solution (« Avec cette marche, (…) vous prouvez (…) qu’un roi n’est pas nécessaire et que la machine peut aller et va bien sans lui ») ; elle pense que les Français sont tout à fait capables de se passer du roi et de la monarchie ; Les Français prendraient ainsi conscience qu’une république est possible; on retrouve ici des idées qu’elle défend depuis longtemps : elle a été, dans sa jeunesse, fortement marquée par les idées des Lumières et particulier par celles de Rousseau ; cette solution n’est possible que si les députés rétablissent les finances du royaume, assure la sécurité aux frontières et diffuse l’information en province (« mettez vos frontières en état de défense [...] veillez à vos finances ; les bons citoyens répandront l’instruction par des écrits, le patriotisme de la capitale s’étendra de toutes parts, [...] et la République s’établit »).
5. Dites si l’auteure a été entendue. Vous veillerez à bien justifier votre réponse.
L’auteur n’a pas été immédiatement entendue puisque le roi a été rétabli sur son trône et que la constitution a été adoptée en septembre 1791, créant une monarchie constitutionnelle.
Il faut attendre l’entrée en guerre de la France contre l’Autriche en avril 1792 et la prise des Tuileries le 10 août 1792 pour que la situation évolue. Le roi est alors arrêté et la république est proclamée le 21 septembre 1792. Par la suite, Louis XVI est jugé et condamné à mort (décembre 1792) ; il est finalement guillotiné le 21 janvier 1793.
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