Pessin, Le Monde, 15 février 2008
Le 13 février, lors du dîner annuel du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions
Juives de France), Nicolas Sarkozy a déclaré vouloir « confier la mémoire » d’un enfant
déporté à chaque élève de CM2. Cette déclaration a immédiatement suscité de nombreuses réactions. Politiques, psychologues et bien sûr historiens portent un regard très critique sur
cette décision.
Une méthode critiquée
L’historien Henry Rousso (spécialiste de l’Occupation) dénonce
en premier lieu la méthode présidentielle (Libération, Un marketing
mémoriel , 15 février 2008). Pour lui le Président de la République procède à des effets d’annonce et instrumentalise le passé pour servir ses intérêts
immédiats. Cette annonce est, à ses yeux, d’autant plus incongrue que ce travail de mémoire avait été effectué par Serge Karfield. « C’est lui qui a établi
la liste des victimes, leur redonnant un nom, parfois un visage. Leur souvenir est donc perpétué, par la nomination, opération symbolique par excellence » (Libération, op.cit). Pour l’historien Jean-Pierre Azéma, spécialiste de l’histoire de Vichy, cette initiative, imposée sans aucune concertation par le
pouvoir politique, est jugée scandaleuse.
Une confusion entre histoire et mémoire
Pour l’association Liberté pour l’histoire (composée de nombreux historiens), cette initiative "substitue une démarche purement émotive à un
apprentissage critique de l'histoire qui demeure le premier devoir des éducateurs". (LeMonde.fr , 16 février 2008). En effet comme le rappelait Henry Rousso à propos de la lecture
de la lettre de Guy Moquet, le devoir de mémoire imposé à l’école est de plus en plus déconnecté de l’histoire, ce qui a pour effet d’abolir toute distance
entre le passé et le présent puisque l’on ne joue presque exclusivement que sur l’émotion.
Vers une guerre des mémoires ?
Pour le philosophe et écrivain Régis Debray, cette idée risque d’ouvrir une guerre des mémoires. « Qui empêchera la communauté noire de réclamer une commémoration de la
mémoire de l'esclavage? Puis les Arméniens, les Maghrébins? (…) l'idée de la laïcité implique un devoir d'abstention de la part de la puissance publique. Les convictions religieuses sont de
quelques uns, mais la République est à tous », explique Régis Debray. (AFP, 15 février 2008). De plus cette démarche peut s'avérer contre-productive. Ainsi pour Jean Pierre Azéma,
elle ne contribuera nullement à réduire l’antisémitisme. Elle risque d’attiser des tensions.
Un traumatisme pour les jeunes générations
Enfin, un article publié sur le site de L’express du jeudi 14 février rappelle les risques psychologiques encourus pas les enfants. L’enfant peut éprouver un sentiment de
culpabilité pour le destin d’un élève duquel il n’est en aucun cas responsable. Ne risque-t-on pas également de développer une certaine morbidité chez quelques enfants.
Pour ceux qui souhaitent poursuivre la réflexion, le journal
Le Monde organise
mardi 19 février à 11h sur son site un débat en direct avec Annette
Wieviorka, historienne, spécialiste de la Shoah.