article réédité, première publication le 18 octobre 2006
Une entreprise révélatrice du processus d'industrisalisation : les établissements Holtzer à Unieux
En quoi le développement des établissements
Holtzer est-il révélateur du processus d’industrialisation ?
Document 1. La naissance d’un géant industriel
Ouvrier alsacien aux dons précoces, Jean Jacques (Jacob en Alsacien) (1788 – 1862) quitta sa région natale pour rejoindre son cousin Jean Holtzer qui
travaillait à la Manufacture d'armes de guerre de Saint-Étienne. Ils décidèrent de fonder ensemble une fabrique d’acier corroyé
(1) dans la vallée du Cotatay. Leurs produits étaient destinés à la coutellerie, à la taillanderie (2) et à
l’armurerie. L’afflux des commandes les obligea à chercher un autre site. Jacob se fixa à Unieux en 1829 et acheta le moulin du Vigneron pour installer des martinets (3). En 1842, la collaboration entre les deux cousins cessa.
C’est à Unieux que l’établissement de Jacob Holtzer technicien inventif, toujours en quête de nouvelles connaissances et de nouveaux procédés, allait
participer à l’essor industriel de la vallée. Jacob fabriqua tout d’abord un acier corroyé mais cette technique du corroyage restait à ses yeux empirique et incertaine pour des utilisations
exigeantes comme celles des aciers à outils. Conscient que des méthodes plus scientifiques permettraient d’obtenir des aciers plus affinés et de composition régulière, il se lança dès 1840 dans
la fabrication de l’acier par fusion en vase clos dans des creusets chauffés au coke (4). . Afin de contrôler son approvisionnement en combustibles , Jacob Holtzer installa des fours pour l’obtention du coke. Il n’était plus obligé de
l’acheter à la Compagnie des mines de Firminy. L’esprit d’innovation trouva un autre champ d’application avec l’installation en 1844 du premier laminoir (5) actionné par une machine à vapeur capable aussi d’entraîner des martinets.
En 1852, afin de s’affranchir des servitudes d’approvisionnements en fer fin (qui venaient de Franche Comté et de Suède), Jacob Holtzer acheta la licence de
Wolf et Langswiller qui lui permit de développer la technique du puddlage (6). Cette technique avait le double intérêt d’améliorer la qualité de l’acier produit avec un meilleur prix de revient. Aux quatre fours à puddler
du début s’en ajoutèrent cinq autres avant 1861.
En réponse à la diversification des produits demandée par le marché, il acheta en 1857 à Bochum le brevet Meyer pour le moulage de l’acier : point de départ de
la production annuelle d’une centaine de cloches en acier moulé, moins coûteuses qu’en bronze.
Pour ne plus dépendre des importations de fonte suédoise, Jacob Holtzer acquit progressivement les mines et hauts fourneaux de la Ria (Pyrénées
orientales), appréciées pour la qualité de leur fonte.
En 1861, Jacob Holtzer légua sa succession à son fils Jules et à son gendre Frédéric Dorian. L’avènement de ces deux personnalités allaient conduire à de nouveaux
développements entraînés par la réputation et l’afflux de commandes. Ainsi en 1867, un laboratoire de recherche fut établi dans l’usine elle-même, et confié au savant agronome et technicien J.B.
Boussingault. Là s’inventèrent les aciers spéciaux (conséquence des observations antérieures du savant). Cette interaction du laboratoire et de l’usine permit aux établissements Holtzer de
s’assurer des productions d’avant-garde.
D’après René Commère, Mémoires d’acier en Ondaine,
publications de l’université de Saint-Etienne, 2000.
document 2. Les usines Holtzer en 1870 -1890
source : plaquette du centenaire des établissements Holtzer, écomusée de Firminy
Document 3. L’essor des établissements Jacob Holtzer
années
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Nombre d’employés
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Superficie (m²)
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Tonnage vendu
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1849
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80
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700
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1860
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500
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30 960
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1 650
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1880
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55 400
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5 131
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1900
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1500
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113 900
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6 137
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1913
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1700
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125 000
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1914-1918
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6 000
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D’après J. Jacquemond, La révolution industrielle dans la vallée de l’Ondaine (1815 – 1914),
publications de l’université de Saint-Etienne, 1995
Document 4. Témoignage d’un ancien ouvrier sur des conditions de travail avant 1939
La vie quotidienne : « elle était simple ! » On commençait à 6 heures du matin , on aurait dû finir à 2 heures et demi mais tout
le monde faisait des heures supplémentaires, on restait jusqu’à 4heures ½ (pourquoi ? Le patron payait peu, pour s’en tirer, il fallait en faire davantage). On faisait 48 heures, c’était la
loi des 40 heures. C’était tout bénéfice pour le patron. Alors vous vous rendez compte de cette époque où les ouvriers travaillaient de 6 heures du soir à 6 heures du matin ou de 6 heures du
matin à 6 heures du soir ; de jour, ils avaient ½ heure pour manger la soupe à 8 heures et demi, ils quittaient à 11 heures et avaient une heure et demi pour aller manger chez eux. Et le
dimanche matin tout le monde allait travailler, de 6 heures à 10 heures ½ . L’après midi, ils étaient fatigués, ils faisaient un petit somme, ils allaient au jardin. C’était des vies sans
perspectives.
Témoignage recueillis entre 1978 et 1981
dans le cadre d’une enquête pilotée par la Maison de la Culture de Firminy.
Document 5. L’école pratique d’industrie (aujourd’hui Lycée Jacob Holtzer)
La création à Firminy en 1901 de l’Ecole pratique d’industrie répondit à la nécessité de procurer à la métallurgie une main d’œuvre bien formée et d’élever la
condition ouvrière par de meilleures qualifications. On avait besoin de jeunes gens initiés au traçage, au montage, au réglage des machines, à la conduite des chaudières et des fours, à la
lecture des dessins, et capable ultérieurement de devenir des contremaîtres (7) ou des techniciens. Le financement
était pris en charge pour les deux tiers par les aciéries d’Unieux et de Firminy. (René Commère, op.cit)
carte postale non datée (début XX° siècle)
vocabulaire :
1. Faute de savoir fondre le métal à l’état liquide pour le rendre homogène, on pressait au martinet des
barres rougies d’acier.
2. fabrication d’outils propres à tailler, à couper (faux, faucilles).
3. marteau-pilon
4. combustible obtenu par distillation de la houille. Sa combustion permet d’atteindre des températures élevés
nécessaires à la fusion du métal.
5. machine permettant la transformation de la forme d’un métal par compression entre deux rouleaux tournant en
sens inverse.
6. procédé métallurgique permettant d’obtenir du fer aussi pur par élimination du carbone contenu dans la fonte
(la fonte est le produit obtenu par le traitement des minerais de fer par le charbon) . On obtenait un acier en très faible quantité de carbone donc très robuste
7. personne qui dirige les ouvriers dans une usine
Correction
1. Présentez rapidement les établissements Holtzer à leur origine (fondateur, localisation, année de création, type de production) (doc. 1)
Les établissements Holtzer ont été créés par Jacob Holtzer à Unieux en 1832 après la fin de la collaboration avec son cousin. Ces établissements
sont installés à Unieux (moulin du Vigneron). Il y produisait de l’acier corroyé ( faute de savoir fondre le métal à l’état liquide pour le rendre homogène, on pressait au martinet des
barres rougies d’acier) .
2. Quelle était au départ la principale force motrice des martinets ? (doc. 1)
Les martinets sont au départ actionnés par des moulins hydrauliques dans la tradition métallurgique de la vallée de l’Ondaine
3. Comment évoluent ces établissements des origines à 1918 ? Quelle en est la conséquence paysagère ? A quoi donne naissance le développement de la
métallurgie dans la vallée de l’Ondaine ? (doc. 1 à 3)
on assiste à une extension géographique : les
établissements s’agrandissent ; les équipements industriels se multiplient et se diversifient (laminoirs, fours, martinets….) l’ensemble du site atteint plus de 125 000² à
la veille du premier conflit mondial (soit 19 terrains de football). Progressivement, la machine à vapeur vient compléter puis de substituer à la force hydraulique : le
recours au machinisme permet d’accroître la production.
On voit apparaître dans le paysage l’usine (voir définition p. 16) avec ses cheminées, ses structures en
acier, ses ateliers en brique rouge puis en béton, ses voies ferrées. à On assiste donc à une
concentration de la main d’œuvre en un même lieu ( on compte ainsi jusqu’à 6 000 employés pendant la première guerre mondiale)
Précision : les activités traditionnelles, les ateliers ne disparaissent pas : passage progressif de l’atelier (voir exposé
sur la clouterie) à l’usine, sans pour autant qu’il ait une disparition brutale.
Jacob Holtzer tente aussi de contrôler son approvisionnement en matière première (fer) et source d’énergie
(coke). Il s'agit donc d'un phénomène de concentration verticale.(contrôle des
activités d’une même filière de production) (schéma p. 15).
On assiste à la naissance d’un géant industriel
4. Comment est financée cette extension ? (doc. 1)
Cette extension est autofinancée : La forte hausse de la demande permet à Jacob Holtzer d'effectuer d'importants bénéfices. Il les
réinvestit dans son entreprise (au départ pas d’appel à des capitaux extérieurs ce n’est qu’au début du XX° siècle que l’entreprise devient une société anonyme afin de
mobilier davantage de capitaux (ouverture du capital à des actionnaires qui peuvent exercer leur droit de vote en assemblée générale et élire les membres du conseil
d’administration) . Ces capitaux permettent de financer la recherche (nouveaux laboratoires construits en 1931) et des investissements très coûteux (nouvelle presse, fours…)
5. Recherchez dans le manuel la définition d’innovation. Identifiez les innovations en matière de procédés métallurgiques ? Comment
sont obtenues ces innovations ? Qu’est-ce qui pousse Jacob Holtzer et ses successeurs à vouloir toujours innover ? (doc. 1 et doc. 3)
définition p. 16 : introduction d’une invention dans la
production
aciers produits : acier corroyé puis l’acier par fusion en vase clos dans des creusets chauffés au
coke puis puddlage, puis acier moulé, puis aciers spéciaux
Ces innovations sont obtenues par achat de brevets puis par le développement de leurs propres laboratoires de recherche. (souci
d’indépendance)
Tous ces progrès permettent :
-
d'augmenter la productivité : « produire plus, plus vite »
-
améliorer la qualité des produits
-
de diversifier les produits proposés (afin de saisir les opportunités du marché et s’assurer plus
d’indépendance dans les débouchés) : Aciers pour outils, pièce d’armes, acier spéciaux pour pièces d’automobiles, d’avions, aciers corroyés pour coutelleries, taillanderies, carrosserie,
pièces de forge brutes et pièces moulées pour sondage minier,
tout ceci dans un seul but : la recherche de la rentabilité
6. Quand est créée l’école pratique d’industrie ? Pourquoi les établissements Holtzer participent-ils à son financement ? Définissez ce
qu’est un contremaître ? (doc. 5)
l’école est crée en 1901 et permet aux établissements Holtzer de recruter une main d’œuvre qualifiée : des cadres qui assurent le
contrôle des machines (techniciens) et des contremaîtres pour assurer le contrôle de la main d’œuvre et de la production.
7. Quelles sont les conditions de travail des ouvriers ? (doc. 4)
Les ouvriers sont soumis à un rythme de travail imposé par l’usine (présence d’horaire) mais sont faiblement rémunérés.
8. Quel est l’objectif d’une telle organisation du travail ? (doc. 3)
La concentration de la main d’œuvre soumis à un contrôle de la part des contremaîtres permet d’augmenter les rendements : souci de
rentabilité.
9. A partir du travail réalisé, complétez le tableau suivant.
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La clouterie (proto-industrie)
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La métallurgie (industrie)
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Direction de la production
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Système des marchands fabricants
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Grands capitaines d’industrie (dynastie industrielle)
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Organisation du travail
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Travail à domicile : travailleurs isolés en milieu rural et urbain
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Usine (concentration de la main d’œuvre en ville)
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Force motrice
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Homme, animal, hydraulique
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Hydraulique puis Machine à vapeur : mécanisation
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Politique de formation
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aucune
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Création de l’école pratique
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Place de l’innovation
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aucune
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Nombreux brevets et recherches
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Moteur de la croissance industrielle
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Accroissement de la production par extension
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Accroissement de la production par extension et intensification (Standardisation et production de
masse)
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période
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XIII ( ?) au milieu du XIX°
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A partir du milieu du XIX°
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10. A partir du travail réalisé et des doc. 1 p. 28 et 3 p. 39, dites en quoi le processus d’industrialisation est un moteur de la croissance
L’industrialisation est un moteur de la croissance : la conjugaison de tous ces éléments (concentration de la main d’œuvre, recours au machinisme,
innovations) permettent une production de masse. L’industrie représente une part essentielle dans la production des richesses nationales et aussi en terme d’emploi (voir
doc. 1 p. 28 doc. 3 p. 39) Pendant le même temps l’accroissement de la demande constitue aussi une incitation à produire plus et plus vite