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Ce blog pédagogique d'histoire-géographie et d'éducation morale et civique (E.M.C.) tire son nom d'un terme issu du parler gaga (le parler stéphanois) ; le cafuron (window in english !) est une lucarne ou un oeil de boeuf éclairant un réduit. Ce blog s'adresse tout autant aux élèves du lycée Jacob Holtzer (Firminy- Loire) qu'à un public plus large. Bonne visite !

07 Sep

La Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 : qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ?

Publié par Louis BRUN  - Catégories :  #première, #Projet Parcours d'immigrés, #Projet Mémoires de la guerre d'Algérie

Exercice 1. Comprendre la Marche

 

1. Définissez ce qu’est la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 en veillant à bien préciser les mots d’ordre et les revendications des Marcheurs (documents 1 et 2).

2. Dans quel contexte politique, économique et social s’inscrit la Marche pour l’égalité et contre le racisme (documents 3 et 4).

3. Identifiez l’évènement à l’origine de la Marche et présentez qui en est à l’initiative ; vous préciserez par quoi a été a été inspirée cette initiative (Documents 3 et 4).

4.  Indiquez comment le journal Libération titre l’arrivée de la Marche. Après avoir défini le mot « beur », dites si cette expression est conforme au message véhiculé par les Marcheurs (documents 2 et 5).

5. Après avoir décrit les personnages de la BD, dites quelle impression l’auteur cherche à donner. Vous indiquerez ci cette représentation est conforme avec le message que souhaitait véhiculer les Marcheurs (documents 2 et 6)

Document 2. Affiche officielle de la Marche pour l’égalité et contre le racisme

Document 2. Affiche officielle de la Marche pour l’égalité et contre le racisme

Document 3. Aux origines de la Marche pour l’égalité et contre le racisme

 

Au début des années 80, la France voit sa croissance économique fortement ralentir et le chômage ne cesse de croître. Celui-ci, en raison d’une chute de l’emploi industriel, touche particulièrement les ouvriers.  En 1981, La victoire de la gauche aux élections législatives et l’arrivée de François Mitterrand à la tête de la présidence ne permettent pas d’améliorer la situation économique et sociale.

 

L’été 1981, le quartier des Minguettes à Vénissieux focalise les médias alors que les rodéos s’y multiplient ; le terme de « violence urbaine » fait son apparition. Pour l’historien Yvan Gastaut, c’est aussi à ce moment-là que certains comme Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur, mettent en parallèle le développement de l’insécurité et de l’immigration. Le climat est tendu, au moment où le FN fait une percée, lors des élections municipales de 1983 à Dreux. À cette époque, la France connaît aussi une explosion sans précédent des crimes à caractère raciste, comme le rappelle le chercheur Abdellali Hajjat: 203 Maghrébins tués entre 1971 et 1989.

Radio Beur, créée en 1981, dans la mouvance des radios libres, se fait l’écho de la longue litanie des assassinats qui débouchent bien souvent sur des non-lieux. Une liste de 40 crimes est établie par la radio et le nouveau journal Sans Frontière. De nouveaux médias apparaissent qui se font l’écho de ces questions, comme l’agence de presse IM’média. Aux Minguettes, les tensions entre la police et la jeunesse sont extrêmes.

Le 22 mars 1983, une descente de police provoque un sit-in de quelques 350 habitants devant le commissariat de Vénissieux. Une semaine plus tard, une grève de la faim pour dénoncer les violences policières est lancée par quelques jeunes du quartier de Monmousseau, soutenus par des militants pro-immigrés, tels le prêtre Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, de la Cimade.

Le 27 avril, ils créent SOS Avenir Minguettes, présidée par Toumi Djaïdja, entouré de Farouk Sekkaï, Mohamed Khira, Patrick Henry, Djamel Mahamdi et Mohamed Ouzazna. Parmi leurs revendications, une égalité de traitement par la police et la justice, le droit au travail et au logement. Comme le révèle Abdellali Hajjat, une discrimination était établie par les bailleurs sociaux, avec un « seuil de tolérance » vis-à-vis des familles maghrébines aux Minguettes.

Le 20 juin 1983, Toumi Djaïdja reçoit une balle tirée à bout portant par un policier. L’idée d’organiser une marche pacifiste de Marseille à Paris est lancée.

Le 9 juillet, l’assassinat à La Courneuve (93) de Toufik Ouanès, 9 ans, par un habitant fait grand bruit. C’est dans ce climat de violence qu’une trentaine de personnes part de Marseille le 15 octobre dans une indifférence quasi générale. Parmi eux, le groupe de SOS Minguettes, dont une majorité de fils de harkis, mais aussi des militants pro-immigrés. Au fil des six semaines de marche, une montée en puissance va s’opérer, à partir de Valence. La presse nationale commence à couvrir l’événement. La médiatisation va aller crescendo, à partir de Strasbourg avec la venue de Georgina Dufoix, secrétaire d’État à la Famille, alors que le 14 novembre, Habib Grimzi est défenestré par des légionnaires dans le train Bordeaux-Vintimille. À l’arrivée sur Paris, le 3 décembre, c’est l’apothéose, 100 000 personnes se rassemblent pour accueillir les marcheurs. François Mitterrand reçoit neuf d’entre eux, qui annoncent, à leur sortie de l’Élysée, la carte de séjour de dix ans pour les étrangers ; elle sera instaurée en juillet 1984.

 

Chronologie proposée par le dossier pédagogique consacré au film La Marche (2013 - Nabil Ben Yadir)

Document 4. Comment comprendre la Marche ?

 

Cette Marche n’est pas la première manifestation politique des populations immigrées en France. Au contraire elle s’inscrit dans toute une histoire des luttes de l’immigration pour faire avancer ses droits et protester contre les situations précaires et injustes. Les années 1970 sont particulièrement actives dans ce domaine (grèves, manifestations contre des crimes racistes, occupations d’usine ou de foyers de migrants etc.). Cette Marche n’arrive donc pas sur un terrain vierge mais elle est peut-être moins perçue, à l’époque, comme une mobilisation particulariste concernant les travailleurs immigrés et leurs familles, que les luttes antérieures. En interpellant la société française, elle a été appréhendée comme une manifestation nouvelle et qui posait de manière globale la question de l’égalité, des droits et de la lutte contre le racisme.

Il faut se souvenir que cette Marche s’inscrit dans un contexte contrasté à l’époque, avec l’accès de la Gauche au pouvoir, l’émergence des radios libres et des associations portées par les immigrés et leurs enfants, sur fond de xénophobie croissante et de montée du Front National aux municipales de 1983. Le débat organisé par le FIDEL (1) le 3 octobre dernier a de nouveau insisté sur l’ambiance de ratonnade qui prévalait à l’époque en France, avec cette hypothèse d’une « seconde guerre d’Algérie » rapatriée en Métropole et qui cible les jeunes d’origine maghrébine et les rend responsables, par procuration, d’une défaite française qu’ils n’ont pas connue pour la plupart. Le souvenir de ce climat extrêmement raciste a été effacé progressivement de la mémoire collective mais pour les témoins de l’époque, ce fut le déclencheur principal de cette Marche.

Les militants de la Marche ont été les avocats de toute une population des « quartiers » laissée pour compte de l’urbanisation galopante des années 50 à 70, population diverse culturellement, mais socialement en voie de relégation et politiquement en quête d’une reconnaissance. Déjà, cette capacité à s’organiser sur deux mois en combinant des mobilisations locales, à chaque étape de la Marche, avec un mouvement national en lien avec les médias, les associations de soutien aux immigrés (Cimade, Mrap, Fasti, etc.) (2), les partis de gauches, est tout à fait exceptionnelle en France. Le croisement de deux échelles de mobilisation – locale et nationale – est propre aux Marches qui ne semblent pas être un registre très fréquemment utilisé en France, du moins par les acteurs politiques habituels, et les syndicats. Pour cette jeunesse, la Marche sur Washington menée par Martin Luther King a fait l’objet d’une référence symbolique forte. Comme les paysans du Larzac qui eux-aussi vont faire plusieurs Marches sur Paris dans les années 70, il semble que ce soit les franges marginalisées de la société française qui ont adopté ce type de mobilisation. Et cela a un sens particulier en termes d’innovation politique. Il faut enfin insister sur la rapidité de la récupération politique de cette Marche par la Gauche qui dans les années 80 est à la recherche d’un électorat plus jeune, mais qui pourtant ne va pas intégrer les leaders locaux de cette mobilisation dans son personnel politique, ni même apporter son soutien aux associations qui se développent dans les quartiers. De même, il faudrait s’attarder, grâce à un travail minutieux sur les archives, sur l’instrumentalisation de cette Marche par les médias et par des associations qui dès 1984 vont souhaiter incarner un vaste mouvement antiraciste de la jeunesse sous la bannière d’une génération « Black, Blanc, Beur ». L’étiquette de « Marche des beurs » (3) dans laquelle les marcheurs ne veulent pas se reconnaître, a permis de banaliser cette mobilisation en un vaste mouvement antiraciste, vide de contenus politiques, qui a évincé en quelque sorte les revendications précises des marcheurs avec tout l’appareillage d’un marketing offensif et avec des moyens financiers qui ont fait défaut aux leaders de la Marche par la suite, quand il s’est agit pour eux de faire perdurer leur mouvement dans le temps

 

1. FIDEL : Festival Images de la Diversité et de l’Egalité

2. Cimade/Mrap/Fasti : la Cimade ( Comité inter-mouvements auprès des évacués) est une association de solidarité active et de soutien politique aux migrants, aux réfugiés et aux déplacés, aux demandeurs d'asile et aux étrangers en situation irrégulière. Le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) est une association française non gouvernementale, créée en 1949 par d'anciens résistants et déportés de la Seconde Guerre mondiale, qui se définit comme un moyen de revendication pour « l'égalité des droits entre tous les citoyens ». La Fédération des associations de solidarité avec tous·te·s les immigré·e·s (FASTI) regroupe différentes associations de solidarité avec tous·te·s les immigré·e·s (ASTI) en France. La FASTI se définit comme « féministe, anticapitaliste et tiers-mondiste » ; elle demande la liberté de circulation et d'installation, le droit de vote pour toutes et tous, l'annulation de la dette du tiers-monde et une réelle égalité entre les hommes et les femmes.

3. Pour l’historien Abdellali Hajjat : « À l’origine, « beur » signifie « arabe » en verlan et est utilisé par les enfants d’immigrés maghrébins de la région parisienne pour s’auto-désigner. Mais le terme échappe rapidement à ses inventeurs et devient une forme d’assignation identitaire. Les « beurs » ne sont plus des Arabes : ils ne sont ni des Français à part entière ni tout à fait immigrés ».

 

Interview de l’historienne Marie Poinsot

accordé au dossier pédagogique consacré au film La Marche (2013 - Nabil Ben Yadir)

Document 5. La Une du journal Libération, 03 décembre 1983

Document 5. La Une du journal Libération, 03 décembre 1983

Document 6. Planche extraite de la bande dessinée Les Mohamed de Jérôme Ruillier (éd. Sarbacane, 2011) adaptation de Mémoires d’immigrés de Yamina Benguigui.

Document 6. Planche extraite de la bande dessinée Les Mohamed de Jérôme Ruillier (éd. Sarbacane, 2011) adaptation de Mémoires d’immigrés de Yamina Benguigui.

Exercice 2. La postérité de La Marche : une histoire oubliée et des problèmes non résolus ?

 

1.  Présentez l’analyse que fait Mogniss H. Abdallah sur l’historicité de la Marche (document 7).

2. Rappelez quel était l’espoir de Toumi Djaïdja au moment de la Marche et expliquez pourquoi cet espoir a été déçu (document 8).

3. Indiquez quelle est l’importance de l’histoire selon Toumi Djaïdja et rappelez le conseil qu’il donne à la jeunesse (document 8).

Document 7. La Marche : un non-évènement ?

 

Fondateur de l’agence de presse IM’média en 1983, militant, journaliste indépendant, Mogniss H. Abdallah a été à la fois un acteur majeur des innombrables combats menés par les populations d’origines immigrées en France depuis plus de quarante ans et un témoin privilégié de cette histoire. 


Octobre 2013, trente ans après, à la question “Avez-vous déjà entendu parler de la Marche pour l’égalité de 1983, dite Marche des Beurs ?”, 81 % des personnes sondées répondent “non”. Parmi les 18-24 ans, le “non” grimpe même jusqu’à 90 %. Certes, parmi les 65 ans et plus, 27 % disent en avoir entendu parler, surtout en région Île-de-France (1). Mais ce sondage ne s’attarde pas sur les confusions récurrentes parmi les réponses positives qui, au vu de nombre d’observations empiriques par ailleurs, amalgament le plus souvent la Marche avec l’opération ultérieure “Touche pas à mon pote” de SOS Racisme (2). Sans préjuger des effets de réactivation mémorielle ou de relance de la recherche historique suite aux multiples publications, commémorations, réunions publiques ou colloques organisés en 2013, ainsi que de l’impact du film La Marche réalisé par Nabil Ben Yadir sorti le 27 novembre sur les écrans à destination du grand public, ces chiffres concordent avec l’impression dominante : vécue comme un “moment fondateur” d’une France qui se découvre pluriculturelle et pluri-ethnique, voire comme un “événement historique”, la Marche n’est pas inscrite pour autant dans le marbre de la mémoire collective. Elle n’est “pas assez entrée dans l’histoire”. Mais, à qui la faute ? Poser cette question, c’est aussi une façon d’interroger la notion même d’historicité, c’est-à-dire “la capacité qu’ont les acteurs d’une société ou d’une communauté donnée à inscrire leur présent dans une histoire, à le penser comme situé dans un temps non pas neutre mais signifiant, par la conception qu’ils s’en font, les interprétations qu’ils s’en donnent et les récits qu’ils forgent (3)”.

 

1. Sondage Opinionway pour la Licra, octobre 2013.

2. Association française créée en 1984, dont le but déclaré est la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et plus généralement toutes les formes de discrimination. Son slogan est « Touche pas à mon pote »

3. Ludivine Bantigny, in “Historicités du XXe siècle”, revue Vingtième Siècle, vol. 1, n° 117, 2013.

 

 

Mogniss H. Abdallah, « La Marche pour l’égalité et contre le racisme, un événement historique ou un coup médiatique ? », Hommes & migrations, 1304 | 2013, 162-166.

https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2681

 

 

Document 8. « Acte de désobéissance civique, pourquoi je ne reçois pas M. le ministre François Lamy », Communiqué de Toumi Djaïdja - 14 octobre 2013

 

Toumi Djaïdja est l’un des principaux organisateurs de la Marche pour l’égalité de 1983. Il était aussi le président de l’association SOS Avenir Minguettes. C’est à la suite d’une « bavure » policière au cours de laquelle il a été grièvement blessé au ventre que la Marche a été décidée. François Lamy, ministre socialiste de la Politique de la ville, était lundi 14 octobre 2013 (30 ans après la Marche) en visite dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, d’où est originaire Toumi Djaïdja. Il avait demandé à le rencontrer à cette occasion.

 

« Dans ce contexte de commémoration des 30 ans de la Marche pour l’Egalité, je me vois dans l’obligation de sortir de ma réserve. Pendant 30 ans j’ai nourri l’espoir que l’égalité soit le chantier permanent de la République celle à laquelle nous aspirons tous. Mais aujourd’hui force est de constater, malgré des avancées certaines, l’inégalité frappe toujours voire plus encore. Je parle de ces femmes, de ces hommes sacrifiés sur l’autel des inégalités. Beaucoup d’entre nous vivent dans des conditions inadmissibles, laissés non pas sur le bas-côté de la route mais dans le fossé des inégalités : le mal-logement, l’exclusion, la paupérisation, la marginalisation. Si ce système continue tel quel, il est à parier qu’il court à sa perte. Je suis comme des millions de nos concitoyens une victime de la guerre sociale.

La Marche pour l’égalité doit s’inscrire dans l’histoire commune pour rappeler que la République ne doit laisser aucun répit à la lutte pour le droit à la dignité, le droit pour la non-discrimination. (…) La commémoration doit être un moment fort où des décisions politiques courageuses et concrètes sont prises pour que l’histoire de nos quartiers populaires s’inscrive enfin dans l’histoire de notre pays.

Nous savons la rupture de la transmission, ses conséquences et ses enjeux. Il nous faut nous construire une histoire commune, partagée par le plus grand nombre pour que vive la mémoire. Nous savons que l’histoire c’est la projection, que ce qui manque à notre jeunesse c’est l’identification projective vitale à sa construction. Mais comment cela est-il possible si l’histoire est amputée ? Là où est née cette marche aujourd’hui dans ce quartier des Minguettes, la jeunesse ne peut relater cette histoire. Après l’espoir qui a porté les électeurs, c’est dans l’isoloir que chaque citoyen devra prendre sa responsabilité.

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